En Belgique, toutes les activités « non-essentielles » ont été stoppées le 13 mars à minuit. Résultat : un manque à gagner incontestable pour les indépendants. Le gouvernement tente de les soutenir, mais c’est grâce à leur innovations que les indépendants maintiennent leur tête hors de l’eau.
De nombreux indépendants voient leurs activités diminuer ou même s’arrêter totalement à cause des mesures de confinement. La priorité du gouvernement est la santé de tous. Les fermetures de restaurants, l’annulation d’événements et la distanciation sociale rythment désormais le quotidien des Belges. Mais quid de ceux qui doivent fermer boutique ? Le gouvernement affirme, de son côté, qu’ils ne seront pas oubliés.
Le point sur la situation
Début mars, Denis Ducarme, ministre fédéral MR des Classes moyennes, PME et des Indépendants, a signé une circulaire. Les nouvelles mesures fédérales obligent les caisses d’assurances sociales à devenir plus flexibles et à octroyer des facilités de paiement à l’ensemble des indépendants affectés par les conséquences du Covid-19. Selon leur situation, les indépendants peuvent prétendre à un report du versement de leurs cotisations sociales, une réduction de celles-ci, voire leur annulation. Le gouvernement souhaite qu’aucun des indépendants ne se retrouve en difficultés financières à cause du versement de leurs cotisations sociales.
Tous les trois mois, les indépendants doivent verser, entre 14,16 % et 20,5 % de leurs revenus, pour payer leurs cotisations sociales. Le plafond maximal est fixé à 4.276,66 euros par trimestre. Pour le moment, ces mesures concernent les versements des deux premiers trimestres de 2020. Chaque indépendant est appelé à contacter sa caisse d’assurance pour voir s’il peut en bénéficier.
Un droit passerelle
Mais le gouvernement ne s’est pas concentré que sur les cotisations. Au même titre qu’un incendie ou une inondation, l’interruption de l’activité ou la faillite pour cause de coronavirus donne maintenant accès à un droit passerelle. À condition que l’indépendant puisse prouver l’impact négatif du coronavirus sur son activité. Concrètement, il s’agit d’une prime de 322 euros pour compenser entre 7 et 13 jours de fermeture. Le montant peut augmenter pour atteindre 1.291 euros par mois pour toute fermeture de plus de 28 jours. Ce droit passerelle peut être versé pendant 12 mois. Si les mesures du ministre Denis Ducarme sont validées, sept jours d’interruption suffiront donc pour prétendre à ce droit. Avant, il fallait minimum un mois d’arrêt pour en bénéficier. Les caisses d’assurance sont prévenues. Elles tentent de mettre en place un système de réponse efficace pour les indépendants.
Les Régions aussi se mobilisent et mettent la main au portefeuille pour soutenir les entreprises. La Wallonie a débloqué 100 millions d’euros pour aider les secteurs en difficulté. Grâce à un fonds de 20 millions d’euros, la Région bruxelloise se portera garante pour les entreprises qui ont des difficultés à rembourser leurs prêts bancaires. La Flandre, pour sa part, octroie 4.000 euros à chaque entreprise pour compenser trois semaines de fermeture. Si la situation persiste, cette prime passera à 160 euros par jour de fermeture supplémentaire.
La Belgique comptait 1.100.000 indépendants début 2019. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter. L’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (INASTI) le confirme, les plus fragilisés sont les hôteliers-restaurateurs et les petites structures comme les coiffeurs ou les esthéticiennes.
Des mesures jugées insuffisantes
Commerces, restaurants, cafés, c’est inévitablement, le chiffre d’affaires et le salaire des indépendants qui seront les premiers impactés par les mesures spéciales « Covid-19 ». Ces mêmes indépendants devront continuer à payer une série de charges. Pour eux, la situation juridique et les solutions proposées par le Syndicat des indépendants restent peu claires. Certains, comme Didier Jacquier, n’espèrent pas grand chose.
Pour le responsable du restaurant « Les Nourritures Terrestres » à Saint-Gilles, l’État ne fera rien. « On a droit à un chômage technique et on peut étaler nos dettes vis-à-vis de l’État, mais au final on devra quand même payer », explique-t-il avant d’enchaîner. « Mon employée, Mélanie, a droit à un chômage passerelle de 600 euros par mois. On va se débrouiller pour continuer à lui payer son salaire parce que 600 euros, ce n’est clairement pas suffisant pour vivre. Il faudra se passer de l’État ».
Lorsqu’on lui demande s’il a contacté sa caisse d’assurance sociale, Didier répond de manière sarcastique : « Je vais le faire pour rigoler, mais vous savez, ça fait 40 ans que je suis indépendant et je n’y crois plus ».
Dans le même quartier, à seulement quelques mètres du restaurant, le gérant de la brasserie Verschueren, Bertand Sassoye, s’active avec ses autres employés. Alors que le soleil est de retour, ce bar met en place une nouvelle manière de fonctionner.
Un « pay and go » façon Verschueren
Le week-end du 14-15 mars, avant le confinement total, la brasserie Verschueren annonçait une vente comptoir, une sorte de « pay and go« . L’idée était de vendre les produits « faits maison », à savoir la bière, le jus de gingembre et le café moulu, comme sur un marché. Pour le gérant Bertrand Sassoye, « il faut trouver des solutions pour continuer à employer les étudiants. On a pensé à deux choses: les ventes comptoir et les chantiers dans le bâtiment. Les étudiants n’ont droit à aucun chômage technique, et pourtant, ils ont vraiment besoin de cet argent ».
Pourtant, cinq minutes avant le début de la première vente, la police débarque et menace Bertrand de mettre sous scellé le bar, si la vente continue. Sans grande surprise, puisque que le gouvernement recommande à tous les Belges de rester chez eux. « Pour moi, c’est de l’abus de pouvoir, on paie une partie de cette place et ce qu’on voulait faire n’était pas du tout illégal », confie-t-il. Mais pour le gérant, pas question de risquer les scellés, alors, au dernier moment, il s’organise pour faire une chose inédite au Verschueren : de la livraison de bières à domicile. C’est dans ce chaos organisationnel que nous avons suivi Gilles arpenter les rues du quartier avec son sac plastique et son masque chirurgical.
Gilles est employé au Verschueren, il n’est pas payé pour les livraisons du jour. S’il le fait, c’est en solidarité avec ses collègues étudiants qui ne perçoivent pas de chômage technique. « Il faut se serrer les coudes. Puis, je pense au futur du bar : moi sans lui, je fais quoi ?« . Les clients qui commandent, c’est la même histoire, la bière ne leur est pas indispensable. Ils le font en guise de soutien envers le débit de boissons qu’ils côtoient au quotidien. Certains se sont même proposés en tant que bénévoles pour faire les livraisons.
Ils pourront peut-être vendre nos produits, eux ?
Plus curieux qu’inquiet, Bertrand Sassoye voit cette expérience de manière plutôt positive. Pour lui, c’est comme une sorte de test. Une autre idée lui vient soudain : « Les Nourritures Terrestres », le restaurant un peu plus loin, ils sont toujours ouverts pour du take-away. Ils pourront peut-être vendre nos produits, eux ? ».
La page, Aides aux restaurateurs #Covid19 partage les messages de restaurateurs et de grossistes qui se débarrassent de leur stock de nourriture gratuitement ou à petits prix. Elle dresse, aussi, la liste des différents restaurants qui proposent désormais des plats à emporter ou des livraisons à domicile. Ces établissements sont repris sur une carte, par région, pour vous permettre de trouver des bons petits produits près de chez vous.
Des cours de danse dans son salon
Si au Verschueren les idées fusent et les livraisons risquent de durer toute la journée, dans le secteur de la danse, c’est différent. Les élèves ont un abonnement et paient à l’avance. Pourtant au NSJ, un studio bruxellois de danse urbaine, la réaction est la même : innover pour résister.
Le NSJ propose un tout nouveau concept, le « home-dancing ». L’ordre est tombé vendredi 13 mars: obligation de fermer les portes de tous les établissements sportifs. Mais Jessy Kay, le directeur de l’école, a eu une idée. « Si on peut travailler à la maison, alors pourquoi ne pas aussi suivre des cours de danse à la maison? ».
Le principe est simple : à chaque cours habituel son groupe Facebook. Le professeur se filme de face et de dos en train d’expliquer la chorégraphie. Les élèves peuvent ensuite visionner la vidéo en ligne et répéter chez eux. L’école offre ces vidéos en ligne gratuitement à ses habitués.
Si la situation dure jusqu’en avril, ça va, on peut faire avec. Mais après, ça va être compliqué…
Le but est surtout de garder les élèves motivés et de poursuivre la préparation du spectacle de fin d’année. Mais selon Jessy Kay, l’impact financier est certain, « On va devoir prolonger l’abonnement des élèves de quelques mois. En plus, on doit encore payer le loyer des locaux. Si la situation dure jusqu’en avril, ça va, on peut faire avec. Mais après, ça va être compliqué… ».
Comme le reste des indépendants, les écoles de danse sont un peu dans le flou. Des organisations comme « Dance Corner » s’activent pour les éclairer durant cette situation particulière.
Dance Corner a pour but de soutenir les acteurs du milieu de la danse. Créée en 2016, l’association informe les danseurs sur leur statut, la législation et l’actualité du secteur. En ce moment, elle tente de rassurer les écoles sur la situation et leur communiquer les démarches à suivre. Les professeurs de danse sont, soit employés, soit indépendants. Nombreux sont ceux qui ont déjà fait leur demande d’allocations de chômage temporaire mais l’inquiétude est palpable. La majorité des écoles de danse ont le statut d’association sans but lucratif (ASBL). C’est un secteur où les moyens sont restreints et la saison des spectacles, une grosse rentrée d’argent pour les établissements, approche à grands pas.
Les écoles de danse espèrent donc pouvoir rouvrir leurs studios au plus vite. En attendant, les cours en ligne sont une bonne solution pour permettre aux élèves de rentabiliser leur abonnement, de ne pas s’ennuyer et de continuer à s’entraîner.
Aleksandra, 17 ans, suit un cursus de danse à l’Académie des Beaux-Arts et est élève chez NSJ. En temps normal, elle suit environ 21 heures de cours de danse par semaine. Et pas question de prendre des vacances en cette période de fermeture des écoles. Pour elle, « les cours en ligne, c’est une idée géniale, car même en étant à la maison, on continue à bosser et à s’amuser« .
Un musée virtuel pour soutenir les artistes
Le milieu de la danse n’est pas le seul à proposer du contenu en ligne. Dans le milieu artistique les idées fusent. Tous espèrent, d’une manière ou d’une autre, permettre aux artistes de continuer à diffuser leur travail et promouvoir leur art.
Culture quarantaine est une page Facebook qui vient de voir le jour. En cette période d’isolement, ses créateurs la décrivent comme une « plateforme de promotion de la culture« . Le but est de servir de relais pour les artistes indépendants qui souhaitent continuer à partager leur art. De son côté, le public pourra continuer à observer et soutenir des productions artistiques pendant cette période de confinement (jusqu’au 5 avril, selon les dernières annonces du gouvernement).
Pour mieux comprendre la situation des artistes indépendants et l’objectif de cette page, nous avons rencontré, à distance, les initiatrices du projet.
Charlène Sauldé, fondatrice du collectif Le Bus, est comédienne. Hanna Van der Valk, elle, est graphiste, dessinatrice et fondatrice de l’atelier Brume. Avec deux autres personnes, elles ont créé la page Facebook. Comédiens, plasticiens, vidéastes, ils sont tous sans statut d’artiste et indépendants. Suite aux dernières annonces, la situation leur paraît de plus en plus critique. Pour agir, ils se sont inspirés d’une page similaire autrichienne, KulturQuarantaene.
« C’est le flou artistique »
Pour Charlène Sauldé, la situation des artistes est compliquée et les dernières réglementations n’arrangent rien. En pratique, les contrats artistiques sont rarement signés à l’avance. Les contrats ne sont validés qu’une fois la prestation effectuée. Sans contrat, aucun moyen pour l’artiste de prouver qu’avant la quarantaine, une activité professionnelle était programmée. Autrement dit, même si un artiste a une activité régulière et des contrats de prévus, avec le confinement, il ne pourra pas en apporter les preuves et donc ne touchera rien.
À l’heure actuelle, de nombreux contrats sont annulés, parfois sans même être reportés. Les quatre créateurs et les artistes qu’ils soutiennent se posent tous la question de savoir quand ils vont être remboursés. « Dans un ou deux mois, ceux qui comme nous n’ont pas leur statut vont galérer« , explique Charlène Sauldé. À la fin de cette période compliquée, en effet, les artistes qui n’ont pas encore acquis leur statut n’auront personne vers qui se tourner. « Moi, par exemple, je ne sais pas à qui je vais pouvoir demander un report d’indemnités ou un délai supplémentaire pour apporter mes contrats signés et prouver que j’ai travaillé. Je ne sais même pas s’il faut contacter l’Office national de l’Emploi, le gouvernement, SMART, etc. Nous n’avons rien de concret. C’est le flou artistique, pour le coup« , raconte-t-elle.
Un espace de vie culturelle comme en temps normal
Avec la page « Culture Quarantaine », les quatre compères souhaitent créer une opportunité pour les artistes de diffuser leurs créations en live. Pour eux, « proposer des prestations en direct, c’est un peu comme offrir des alternatives aux événements annulés précipitamment« . Mais attention, les créateurs veulent être clairs, ils ne font pas que de la promotion. L’objectif est de mettre en place une plateforme avec des spectacles, des productions culturelles, des expos, etc. « Créer un espace de vie culturelle comme en temps normal« , explique Hanna Van der Valk.
Pour cela, un système de financement virtuel a été mis en place. Il permet à ceux qui visionnent le live de donner un peu d’argent à l’artiste. Par exemple, samedi dernier, la page a diffusé en direct un concert de swing avec le lien du compte en banque du groupe. Un succès selon les administrateurs de la page, « il y a même eu quelques dons ! » se réjouit-elle.
https://www.facebook.com/Intercult77/videos/1537565256401615/
Concert du samedi 14 mars à la Cellule 133 : The Morning Call Jazz Band (live Facebook)
Le but n’est pas de promouvoir la culture en ligne. Vous imaginez, à terme cela tuerait notre profession.
Charlène Sauldé précise qu’une fois la période de confinement terminée, la page Facebook sera supprimée. Les deux interviewées sont d’accord, elles sont artistes et maintenir cette page serait auto-destructeur. « Le but n’est pas de promouvoir la culture en ligne. Vous imaginez, à terme cela tuerait notre profession. Une pièce de théâtre c’est toujours mieux à voir en vrai », expliquent-elle.
De l’art 360°
La page est ouverte à toutes les propositions. Même si généralement le quatuor fait appel à son réseau, quelques artistes leur ont écrit pour rejoindre l’initiative et proposer leurs créations. Pour l’instant, tous les artistes sont les bienvenus, « mais à un moment donné, nous allons devoir filtrer » constate Charlène. Selon la comédienne, une sélection en amont est nécessaire pour proposer un contenu de qualité, offrir une vraie visibilité à chaque publication et éviter qu’elles se noient dans un flux.
D’après elle, sur Facebook, ce qui fonctionne le mieux ce sont les concerts, aussi plus faciles à organiser. Mais avec un peu d’imagination, tout peut être intéressant à regarder depuis son écran. Les plasticiens par exemple, peuvent proposer des vidéos d’une exposition réalisée chez eux ou dans la rue. L’équipe a aussi pensé aux Facebook live d’expositions commentées en direct, par les artistes eux-mêmes.
De même, les œuvres littéraires sont les bienvenues, avec des lectures de textes en direct. Preuve en image, ce mardi, l’équipe du Veste en Jeans Crew a proposé une lecture de compte pour enfant, « L’ogresse en pleurs« . Si cette vidéo n’est pour l’heure plus accessible, d’autres le sont encore ici.
L’imagination, le meilleur remède
On le voit, le confinement, que l’on connaît à présent depuis une dizaine de jours, a bien failli paralyser l’activité des indépendants bruxellois. Mais c’était sans compter sur l’ingéniosité de tous et dans dans tous les secteurs.
Aujourd’hui, une multitude d’idées continuent à émerger pour faire face à la crise du coronavirus, que ce soit dans l’Horeca, le milieu sportif ou artistique.
Et pour beaucoup, l’imagination et l’entraide semblent être le meilleur remède contre le Covid-19 et le confinement.