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Covid-19 : « La peur domine, je ne pensais jamais vivre ça »

Pour le personnel médical, le port du masque est obligatoire. Mais il en manque parfois cruellement. © Suzie Khn

Le coronavirus poursuit son invasion. En première ligne, le personnel soignant paie le prix fort. Professionnellement, mais aussi et surtout humainement.

Touché depuis le milieu du mois de mars par l’épidémie de coronavirus, le pays mobilise toutes ses forces pour lutter contre cet ennemi mondial. Alors que les mesures gouvernementales imposent à tous de respecter la règle du confinement, les membres du personnel soignant ne sont pas en télétravail.

Parmi eux, les infirmiers et infirmières se retrouvent en première ligne face au virus. Conditions de travail défaillantes, horaires surchargés, exposition aux risques, pénurie de protections sanitaires sont autant de difficultés que doivent affronter les blouses blanches chaque jour. Sans oublier les conséquences sur leur vie privée.

Je panse donc je suis 

Malgré les applaudissements des citoyens, le personnel soignant n’a pas le cœur à la fête. Les raisons sont multiples et concernent tant les conditions de travail et les horaires que toutes autres mesures organisationnelles, rendant leurs journées encore plus éprouvantes que d’habitude. Olivier Gendebien, directeur des soins à la maison de repos du CPAS de Woluwe-Saint-Lambert, et Arne Wouters, étudiant en deuxième année de master en médecine à l’université d’Anvers et actuellement stagiaire à l’hôpital Stuivenberg, figurent parmi les 130.000 aides-soignants mobilisés en Belgique.

Dans les maisons de repos, la température du personnel est contrôlée tous les jours. Les visites sont suspendues, tout comme dans les hôpitaux. Par ailleurs, si des signes de fièvre ou de toux surviennent, les patients et soignants susceptibles d’être malades sont immédiatement écartés. Quant aux étudiants qui, ordinairement, affluent pour effectuer leurs 150 heures de stage obligatoires, ils ont été priés de rester chez eux. Toutefois, rien n’empêche les étudiants et professeurs de venir prêter main forte de façon bénévole. 

mains avec gants

Avec les masques, les gants sont indispensables pour protéger le personnel médical. © unsplash.com

Parmi ceux qui ont été touchés, il y a notamment Amandine Godfroid, infirmière en maison de repos et de soins à la Résidence des Ardennes, à Attert (province du Luxembourg). Pour faire face à la pénurie de masque, elle explique, notamment, que la direction de la résidence a demandé à des bénévoles du village d’en confectionner. Cela reste, néanmoins, toujours difficile de faire face à la pénurie. « Maintenant, c’est ça, la règle : chacun a son masque, le garde tout le temps et le désinfecte chez lui en rentrant. En maison de repos, on nous en donne au compte-goutte. Tout va aux hôpitaux, ce qui est logique. Si on a un patient atteint du covid-19, là, je pense qu’on viendra nous en déposer, mais sinon, non », assure-t-elle.

Tout le monde a peur d’avoir le coronavirus et de le transmettre à sa famille.

Ce témoignage n’est pas le seul à aller dans ce sens. Selon Raphaëlle Manderlier, infirmière anesthésiste à l’hôpital Marie Curie de Charleroi, il est clair que la situation sanitaire actuelle se répercute sur les conditions de travail des différents services de l’établissement. « On ressent énormément la crise sanitaire. D’habitude, je travaille tous les jours de 7h30 à 15h30 sans arrêt, mais maintenant l’équipe est séparée en deux et je travaille une semaine sur deux. Beaucoup de membres du personnel se retrouvent sans travail. Les choses sont différentes d’un service à un autre. Par exemple, aux soins intensifs, les membres du personnel travaillent douze heures consécutivement pendant sept jours ». Raphaëlle Manderlier déplore également un changement considérable du comportement de chacun et de l’ambiance générale au sein des équipes. « Au niveau de l’ambiance de travail, c’est pénible. Tout le monde a peur d’avoir le coronavirus et de le transmettre à sa famille « .

Pour Arne Wouters, cette peur fait partie du métier. « Au début, quand le virus était encore inconnu, j’avais peur. Mais maintenant, je sais que je suis bien protégé, donc ça va. Par contre, j’ai des collègues qui ont peur, mais ils viennent travailler. Parce que c’est comme ça, c’est à nous d’aider la population », indique l’étudiant en médecine.

Au niveau étudiant, c’est juste une catastrophe.

Comme Raphaëlle Manderlier, Samuel Valzan, étudiant en troisième année d’infirmier et stagiaire à l’hôpital privé de Blois en France, témoigne de la pénibilité des conditions de travail, engendrée par la propagation du coronavirus. « J’ai changé de service au milieu du stage. C’était prévu comme cela afin que je puisse observer plusieurs services en rapport avec la néphrologie (spécialité médicale du traitement des maladies des reins, NdlR). Sauf qu’en raison de l’épidémie, le service de néphrologie où je travaillais a progressivement été vidé. Du coup, les soignants sont très stressés par la dangerosité du virus et le manque de moyens : rationnement des masques, changement des conduites à tenir, incohérence des tests de covid-19… Ils se plaignent en permanence et l’encadrement des étudiants est quasiment absent « .

Baladé d’un service à un autre, il voit la validation de son stage remise en question en raison des consignes internes, peu claires selon lui, laissant l’ensemble du corps étudiant en suspens. « Au niveau étudiant, c’est juste une catastrophe : l’intérêt pédagogique de ce stage est vraiment diminué, voire nul, car les soignants n’ont pas du tout la tête à former les étudiants « , déplore-t-il. 

« Un seul masque pour toute une journée »

boîte avec des masques chirurgicaux

Face aux gouttelettes, les simples masques chirurgicaux offrent une protection acceptable. ©unsplash.com

Le matériel de protection est d’autant plus nécessaire dans les centres de tri, installés devant les hôpitaux, où passent désormais toutes les personnes qui se présentent aux urgences et où sont effectués les dépistages du coronavirus. Margot Van Kerckhove, assistante de médecine générale et en formation post-universitaire, a postulé comme bénévole pour venir en renfort dans les hôpitaux. Pour elle, la tâche est pénible : « Il faut porter des visières, car le dispositif de test au covid-19 est inséré profondément dans la narine, ce qui fait tousser et éternuer les patients. Ce sont surtout les gouttelettes qui sont contagieuses. » 

Face à elles – les liquides expulsés par le nez ou par la bouche lorsque l’on se mouche, éternue ou tousse –, les simples masques chirurgicaux offrent une protection acceptable (en empêchant le porteur de les diffuser). Mais le coronavirus se propage, aussi, par voie aérienne, et dans ce cas, seuls les masques FFP2 sont efficaces. 

Malheureusement, tous les intervenants font face à des rationnements de masques et doivent les utiliser plus longtemps que prévu. « Les soignants portent, alors, ceux qu’ils ont en réserve : un seul masque pour toute une journée de travail. En principe, pourtant, un masque perd de son efficacité au bout de quatre heures », déplore Raphaëlle Manderlier.

Comment les hôpitaux et unités de soins font-ils donc face à cette pénurie ?

L’hôpital ne se moque pas de la charité

Vinciane Charlier, porte-parole du SPF Santé, assure que de nouveaux masques arrivent tous les jours. Pour les deux semaines à venir, trente millions de masques chirurgicaux et plus de cinq millions de masques FFP2 seront livrés dans les hôpitaux du pays.

Parallèlement à cette importante livraison, les citoyens, eux aussi, donnent de leur personne pour remplir les stocks. Des bénévoles confectionnent des masques à offrir aux services qui en ont besoin. C’est le cas à la Résidence des Ardennes, à Attert, par exemple. À côté de cette initiative citoyenne, certaines entreprises essayent d’aider. Parmi elles, la firme pharmaceutique Tilman a envoyé 1.500 masques aux hôpitaux de Dinant, Marche-en-Famenne, Mont-Godinne et Huy.

personne en blouse blanche portant un masque chirurgical

La durée de vie d’un masque chirurgical est de quatre heures. ©unsplash.com

Le manque de matériel sanitaire nécessaire à la lutte contre le virus n’est pas l’unique problème. L’octroi d’un financement dans les infrastructures de santé, le renforcement des équipes, le remplacement du matériel vétuste sont des demandes formulées, aujourd’hui, par les blouses blanches. Elles ne datent pas d’hier, mais à l’heure du covid-19, des voix s’élèvent encore un peu plus pour dénoncer les coupes budgétaires. La porte-parole du SPF Santé Vinciane Charlier nous a redirigés vers le cabinet de la ministre de tutelle pour les aspects financiers et politiques.

Dans cette crise, incontestablement, les personnes qui travaillent dans les professions médicales sont perçues comme des héros. Les citoyens les acclament, et de nombreuses initiatives d’appels aux dons s’organisent. Pour plus de respirateurs. Pour plus d’unités de soins intensifs. Les citoyens, poussés par la solidarité et l’altruisme, offrent des deniers, alors qu’ils paient déjà des impôts pour les services de santé.

Comme en témoignent ces exemples de cagnottes du monde sportif et associatif : les Union Bhoys, collectif de supporters du club de football de la Royale Union Saint-Gilloise, ont rassemblé près de 2.000 euros qu’ils comptent offrir aux hôpitaux pour l’achat de matériel de protection. Du côté du RFC Liège, les supporters ont lancé un appel aux dons pour financer un nouveau respirateur, dont le prix d’achat s’élève à 35.000 euros.

Ces élans de solidarité se multiplient : les cercles étudiants, les scouts, et beaucoup d’autres.

Un appel aux dons au nom du CHU Saint-Pierre a également été lancé. L’hôpital qui fait la manche ? Non, précise le service de communication : « Cette cagnotte a été mise en place pour répondre aux nombreuses demandes et à l’élan de solidarité venant de la population « . Les dons passent d’ailleurs par la fondation Roi Baudouin, et alimenteront la nouvelle unité de soins intensifs, qui est encore en cours de construction. Le service de communication n’a pas voulu révéler le montant déjà perçu. Le soutien aux soignants ne s’arrête pas là.

Quand la solidarité ne fait pas l’unanimité

La crise sanitaire pose des difficultés au pays, tant sur le plan économique que médical. Régulièrement, les professionnels de la santé de l’ensemble du royaume mettent de nouveaux protocoles et des mesures sanitaires en place pour lutter contre la pandémie et limiter sa propagation.

Face à cet investissement considérable et ce travail sans relâche, les citoyens se mobilisent depuis une semaine pour remercier et encourager les membres du personnel soignant, considérés comme les « héros de la nation ». Chaque soir, à 20 heures, de nombreux Belges se réunissent pour les applaudir et leur faire part de leur soutien.

 

 » C’est touchant, cela fait chaud au cœur « , confie Olivier Gendebien, qui n’est pas le seul à s’en réjouir : « C’est vrai que cela fait plaisir de voir que les gens pensent à nous. Même si je ne suis qu’en deuxième ligne, le matin, j’ai peur de partir à l’hôpital, parce que je ne sais rien de ce qui m’attend pour la journée à venir, et je sais qu’il existe un risque que je me fasse contaminer… Donc à côté de ce stress, bien sûr, le soutien des gens fait du bien », affirme l’infirmière Raphaëlle Manderlier. « Les gens manifestent leur soutien également autrement que par des applaudissements. Notamment, la police est venue klaxonner sur le parking de l’hôpital, les restaurants nous offrent des plats… et nous avons également eu un food-truck qui s’est installé sur le parking pour nous préparer de quoi manger », ajoute-t-elle.

Je trouve que c’est parfois très hypocrite

En revanche, Amandine Godfroid, infirmière en maison de repos et de soins à la Résidence des Ardennes, ne ressent pas les choses de la même façon. « Face à ces applaudissements, j’ai deux réponses. D’un côté, c’est vrai que c’est gentil et émouvant d’entendre cela chaque soir. D’un autre côté, je trouve que c’est parfois très hypocrite, parce que les gens qui applaudissent sont les premiers à ne pas vouloir garder les enfants du personnel soignant, à nous pousser pendant qu’on fait nos courses, et à mettre une distance de quatre mètres avec nous… Certains ne veulent plus nous parler, nous approcher… C’est un peu limite », dénonce-t-elle.

Dans le même sens, Olivier Gendebien précise que, sur Facebook, certains membres de groupes de soignants sont mitigés face à ces élans d’admiration dédiés, selon eux, trop unilatéralement aux membres du personnel soignant. «  Certains estiment que l’attention ne devrait pas être uniquement focalisée sur les professionnels de la santé. D’autres métiers, tels que les éboueurs ou les professeurs, sont très impliqués et impactés. »

Quant à Samuel Valzan, les applaudissements des citoyens ne sont pas sa principale motivation. En effet, ce stagiaire est davantage en attente de changements significatifs de la part du gouvernement que de remerciements. « Oui, les soignants suivent les informations et voient le soutien des gens. Mais ils sont dans l’attente, non pas de remerciements, mais d’une amélioration des conditions de travail, de primes de risque, etc… », déclare-t-il.

En tant que citoyen extérieur au monde de la santé et des soignants, il est difficile de mesurer l’impact du coronavirus sur le personnel soignant, et ce, tant sur le plan professionnel que celui de la vie privée… À quoi ressemble la vie quotidienne d’un.e infirmier/infirmière actuellement ? Qui pense à leurs enfants ? Comment fait-il/elle pour ses courses alimentaires sans risquer gros ? À quel point cette crise sanitaire pèse sur son moral ? Face à ces questions, Amandine Godfroid s’agace : « Il y a une énorme psychose : on est content que les infirmières soient là mais on ne veut pas trop les approcher et donc les aider. »

« Vos enfants sont trop à risques »

jouets pour enfants

Comment fait le personnel soignant pour faire garder ses enfants durant les heures de travail ? ©unsplash.com

Depuis le début de l’épidémie en Belgique, nombreux sont les enfants d’infirmiers et infirmières qui se sont vus refuser l’accès aux crèches et aux garderies, alors que les mesures gouvernementales n’ont rien précisé à ce sujet. Face à cette situation, le personnel soignant tombe des nues. En raison de la charge mentale de plus en plus lourde depuis plusieurs semaines, certaines infirmières craquent. « Certaines collègues se sont même mises à pleurer parce qu’on est déjà hyper angoissées », assure Amandine Godfroid. Les infirmières ont une double responsabilité : elles prennent des risques en allant travailler et les ramènent avec elles à la maison.

Heureusement, certains établissements médicaux ont pris les devants et ont installé un système de garderie pour son personnel. À la Résidence des Ardennes, par exemple, les enfants du personnel sont gardés gratuitement à cinquante mètres de leur lieu de travail par une puéricultrice spécialement engagée pour l’occasion. Trois à quatre enfants sont gardés par jour, en fonction des horaires du personnel. « On essaie au maximum que nos membres du personnel viennent travailler et puissent rentrer chez eux en restant confinés au maximum. La direction est tous les jours sur le terrain, donc on voit ce dont on a besoin et on a vite compris qu’il y avait un problème de garde d’enfants », raconte le directeur de la maison de repos. Au début de la crise sanitaire, l’équipe admet que c’était quelque peu la panique générale. Aujourd’hui, tout semble sous contrôle.

À l’hôpital Marie Curie de Charleroi, à ce niveau-là, la solidarité règne dans les services, comme le souligne Raphaëlle Manderlier. « Certains proposent de garder les enfants des autres, et même à l’hôpital, on a des accueils spécialement dédiés aux enfants des soignants. Il y a aussi des jeunes de 15 à 18 ans qui ne vont plus à l’école puisqu’elles sont fermées, et qui proposent leur aide bénévole pour garder les enfants des soignants « .

Chaque service semble donc avoir trouver des solutions adéquates pour répondre à cette demande.

« Les courses alimentaires, ça rend dingue ! »     

Faire la file pour faire ses courses alimentaires est presque devenu un rituel en Belgique. Pour le corps médical, cette habitude s’avère être dangereuse. En raison du risque, déjà, de se faire contaminer personnellement (et a posteriori les patients) ou de contaminer les clients et les membres du personnel des magasins.

Pour les aider, certains Delhaize et certains Carrefour permettent au personnel hospitalier de passer en priorité, et donc d’éviter la file. Le groupe Colruyt a, quant à lui, développé un service de livraison directement à l’hôpital.

Pour les établissements plus petits et plus isolés géographiquement, les directions tentent de trouver des solutions. Dans la maison de repos et de soins où Amandine Godfroid travaille, le directeur s’est rendu compte que ces risques n’étaient pas à négliger et qu’il était devenu très difficile pour son personnel de faire ses courses. À la fin de la semaine dernière, il a pris une décision : chaque jour, deux repas sont offerts à chaque membre. Cette solution permet aux infirmières d’éviter de côtoyer trop de monde . « Pour moi, c’était vraiment l’angoisse, j’avais peur que les gens m’approchent, vu mon métier », estime Amandine Godfroid, soulagée.

La peur du lendemain

La crise sanitaire du covid-19 n’est pas sans conséquence sur le mental de la population. Les infirmières, au cœur de cette pandémie, sont en première ligne. Juliette (prénom d’emprunt, NdlR), infirmière en maison de soins, habite en France et doit traverser la frontière tous les jours pour se rendre au boulot. À la douane, elle doit donner ses papiers en main propre aux policiers. Sans masque, ni gants, Juliette est apeurée  Elle craint de leur transmettre le virus ou de tomber malade.

J’ai peur constamment. Je suis angoissée à longueur de temps.

Inquiète, elle se confie. « J’ai très peur pour ma famille, j’ai peur de leur ramener le virus, mais aussi de le ramener au boulot et d’être vecteur de la maladie. J’ai l’impression d’être envoyée au boulot sans aucune véritable information, on entend tout et son contraire. Je sais que le peu de protection que l’on a ne sert à rien. J’ai peur constamment. Je suis angoissée à longueur de temps. Je sais que tout le monde est dans le même cas mais c’est affreusement interpellant que, dans notre pays, en 2020, on soit à ce point démunis ! ».

Une lourde responsabilité pèse sur ces infirmières qui, tous les jours, risquent la contamination. Certaines se sentent dépassées et ne savent pas comment elles vont tenir le coup.

En maison de repos, la tension est palpable. Les infirmières ont peur pour leurs patients, qui sont plus fragilisés que le reste de la population. Amandine Godfroid raconte comment elle vit ce stress. « Ça paraît bête, mais maintenant qu’il n’y a plus de visite, si un de nos patients attrape le coronavirus, ce sera d’office à cause d’un membre du personnel qui, lui, a voulu bien faire et qui ne savait pas qu’il était porteur. Mais les dégâts en maison de repos, ce n’est pas rien… « .

Face à la saturation des hôpitaux, l’équipe sait que si l’un de leurs patients attrape le virus, ils devront s’en occuper. Pourtant, la résidence ne possède pas de matériel adéquat car toutes les fournitures vont directement aux hôpitaux. « On n’a rien parce qu’on n’est pas équipés pour les maladies infectieuses. En plus, les médecins ne se déplacent plus donc on est vraiment seuls, malgré leurs coups de téléphone », déplore Amandine Godfroid. Après chaque service, les infirmières quittent la résidence avec la peur du lendemain. Une collègue ajoute. « La peur domine dans ma vie. Je ne pensais jamais vivre ça… J’espère vraiment que de bonnes choses sortiront de cette crise, mais j’en doute « .

La lumière au bout du tunnel

Durant cette période stressante, ces employés peinent parfois à garder le moral. Leurs conversations ne tournent qu’autour du virus, leurs proches sont très inquiets, leur quotidien respectif est façonné par le covid-19. « Les informations tombent au compte-goutte, au jour le jour. […] C’est vraiment pénible. D’habitude, j’adore mon travail, mais là, le stress est omniprésent. Et bien sûr, mes proches ressentent cette peur. Ils ont peur quand je pars le matin à l’hôpital. Mes parents sont également des professionnels de santé, donc l’ambiance n’est pas joyeuse à la maison. On ne parle que du coronavirus, on est tous stressés », témoigne Raphaëlle Manderlier, dépassée par la situation.

 D’un côté, on se rend compte qu’on est toutes tellement proches qu’on se soutient tout le temps mutuellement . D’un autre côté, on a une responsabilité de dingue et ça fait parfois péter les plombs. 

« Solidarité  » semble être le maître-mot au sein des différentes équipes médicales, mais pas toujours. Face aux nombreuses difficultés que le personnel soignant rencontre dans son quotidien, l’ambiance au sein des équipes peine à rester joyeuse. « On est très solidaires, mais il y a quand même pas mal de tension. On se rend compte que l’instinct animal est bien en nous. Par exemple, le matin, on distribue les masques, et s’il y en a un qui n’en a plus, c’est la crise. On a dû les mettre sous scellés avec les produits morphiniques, parce que certains collègues en ont volés. Alors quand celui qui n’en a plus vient expliquer qu’il n’y a plus de masque pour lui et que la personne qui en a dans sa poche ne veut pas en donner, c’est dur à voir. Pourtant, ce sont des gens qui, en temps normal, ne réagiraient jamais comme ça. On voit bien qu’il y a un effet de psychose et d’angoisse. Ils ne sont plus dans leur état normal », pense Amandine Godfroid.

Cet exemple de situation conflictuelle illustre bien l’état d’alerte dans lequel le personnel infirmier se trouve. Pour essayer d’égayer l’ambiance au sein de la maison de repos où Amandine Godfroid travaille, l’équipe augmente le volume de la musique dans les couloirs et adapte les horaires de soins de leurs résidents pour pouvoir passer plus de temps avec eux. Ces petits changements leur redonnent le sourire. 

À l’hôpital Marie Curie, la tension est encore plus palpable. Beaucoup de changements ont eu lieu ces dernières semaines. Depuis le début de la crise sanitaire, le personnel soignant porte des couleurs différentes en fonction des zones : zone verte (port du masque facultatif), zone orange (port du masque préférable), zone rouge (port du masque obligatoire).

De plus, les horaires et les services ont été modifiés. Pour le personnel, ces changements sont déroutants. Raphaëlle Manderlier raconte comment elle vit la situation : « Tout le monde est tout le temps très stressé : on porte tous nos masques, on désinfecte constamment les gants, on réfléchit en permanence à la pertinence des mesures d’hygiène mises en place… C’est vraiment stressant et oppressant « .

« Le soutien de la famille, c’est vital »

Il n’est pas toujours évident pour les blouses blanches de garder la tête hors de l’eau. Certaines ont proposé elles-mêmes de passer à temps plein, par solidarité. Mais ces changements ont tout de même un impact sur leur vie privée. Amandine Godfroid et ses collègues précisent qu’à la fin de la journée, elles sont épuisées, « et ça se voit ». Certaines craquent. Juliette, infirmière depuis maintenant plus de dix ans, se sent lessivée. Depuis le début du confinement, chaque matin, en allant au travail, elle espère au fond d’elle que les policiers à la douane vont lui dire de faire demi-tour et de rentrer chez elle. « Je pense qu’il y aura un avant et un après pour moi. Déjà, je ne me sentais plus à l’aise dans mon boulot vu la façon dont on est traité. Mais là je vais vraiment voir pour me réorienter dès que ma situation le permettra« , confie-t-elle.

Pourquoi est-ce qu’on fait tout ça ? Il suffit que je me pose la question et je pleure.

D’autres oscillent entre détresse et courage, comme Amandine Godfroid, infirmière depuis trois ans. « Le soutien de la famille, même de loin, heureusement qu’il est là. Je ne sais pas comment je vais faire pour tenir le coup, honnêtement. […] Mon médecin traitant m’a dit que mon corps était en train de m’envoyer des alertes, et je le sens. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? On ne peut pas se mettre en maladie maintenant, c’est inconcevable. On a une boule au ventre constamment et on se demande au final : pourquoi est-ce qu’on fait tout ça ? Il suffit que je me pose la question et je pleure. Mais après, quand j’arrive au boulot et que je vois les petites têtes de mes patients qui sont aussi moroses que moi, je me dis que je ne peux pas les laisser « .

Le soutien des proches est un élément important pour Renaud Carlier, veilleur de nuit dans un hôpital à Anderlecht. « Les gens dans la rue m’encouragent quand ils me voient aller au travail. Mes amis et proches savent que je travaille dans un hôpital, donc ils m’envoient des messages pour prendre des nouvelles. Ça fait toujours plaisir. Alors on s’accroche… ».

 

 

 

 

messages de soutien au personnel infirmier

De petits messages des proches donnent du courage. Captures d’écran d’Amandine Godfroid.

Parmi toutes les personnes rencontrées, beaucoup sont persuadées que « quand tout se sera calmé, tout le monde aura oublié. Rien ne va changer. On va aussi avoir des pertes énormes dans le personnel soignant. Mais ça, on ne le verra qu’après. »

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