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Covid-19 : la goutte d’alcool de trop ?

Selon une étude de l'UCLouvain, 25% des personnes interrogées ont augmenté leur consommation d'alcool pendant le confinement. © Gratisography
Publié le 11-01-2022 par , et

Contrairement aux idées reçues, la plupart des Belges n’ont pas augmenté leur consommation d’alcool pendant le premier confinement.

Le 18 mars 2020, la Belgique se confinait pour la première fois. Cette situation inédite a été plus ou moins bien vécue par la population. Télétravail, isolement, anxiété : certaines personnes ont vu leurs addictions décupler, d’autres diminuer, comme l’alcool. Selon l’institut de statistiques fédéral Statbel, entre 2018 et 2020, les dépenses annuelles des ménages en Belgique en boissons alcoolisées ont augmenté de plus de 9%, passant de 516 à 565 euros. « Les bars étant fermés, les gens ont acheté plus d’alcool que d’ordinaire. La consommation n’a pas grimpé, elle s’est simplement déplacée à l’intérieur du foyer », met en lumière Christophe Chevalier. Alcoologue et psychologue au Centre des addictions Bruxelles-Epsylon, il reçoit des patients de tous âges et de toutes professions : « Des gens qui n’étaient pas forcément de gros buveurs ont fait des apéros Skype régulièrement. Un prétexte pour consommer et apaiser leur angoisse. Surtout qu’en télétravail, l’ivresse ne se voit pas ».

Selon une enquête de l’UCLouvain, réalisée entre avril et mai 2020 auprès de 10.000 Belges francophones, 25% d’entre eux ont augmenté leur consommation d’alcool pendant le premier confinement, 46% notent qu’elle était stable et 29% l’ont réduite à la suite du lockdown. Pierre Maurage, professeur à l’Institut de recherches en sciences psychologiques de l’UCLouvain, fait partie des chercheurs de l’étude : « C’est lors des fêtes, des moments de convivialité que l’on boit le plus ».

Dis-moi ton âge, je te dirai combien tu bois

Les résultats de l’enquête de Pierre Maurage expliquent la chute drastique de la consommation hebdomadaire d’alcool des Belges francophones âgés de 18 à 30 ans pendant le premier confinement. « 70% de notre échantillon d’étudiants a réduit sa consommation au cours du lockdown », remarque le professeur. Celle des 30-50 ans et des plus de 51 ans est plutôt restée constante.

« Ce sont surtout les personnes au rapport modéré à l’alcool et anxieuses qui ont eu la main plus lourde sur la bouteille car boire permet de réguler ses émotions », éclaire Pierre Maurage. Christophe Chevalier complète : « Le confinement a créé de l’anxiété car c’était l’inconnu le plus total. Et l’inconnu, ça fait peur. Prendre un verre, c’est comme un antidépresseur, un anxiolytique pour mes patients. Ils s’auto-soignent ainsi ».

La consommation des buveurs modérés a augmenté tout au long de la période du 18 mars au 5 avril 2020, passant de plus de quatre à près de cinq verres. Contrairement aux idées reçues, la consommation des personnes ayant un rapport problématique à l’alcool a drastiquement diminué avec le premier confinement, passant de près de trente verres avant celui-ci à dix-neuf verres. « Le facteur social est déterminant dans la consommation d’alcool », indique le professeur de l’UCLouvain. « Les amis, la famille permettent de se décharger de ses angoisses. Être loin de ses proches entraîne un état morose. Bien qu’illusoire, l’alcool apparaît comme une solution à ce mal-être », ajoute Christophe Chevalier.

L’alcool, une problématique antérieure au Covid-19

Pour l’alcoologue et le psychologue du Centre des addictions Bruxelles-Epsylon, les problématiques liées à l’alcool ne datent pas de la pandémie : « Mes patients consommaient déjà avant la crise et les mesures sanitaires. Le confinement a pu accentuer certaines habitudes mais le souci avec le produit était déjà bien ancré », souligne Christophe Chevalier.

Certains professionnels de santé constatent toutefois les effets d’un retour de bâton du premier confinement. C’est le cas de Siham Ben Aissa, alcoologue et psychologue à Charleroi : « Le Covid a entraîné des pertes d’emploi, des cas de violences domestiques, un stress accru avec le télétravail et les enfants à gérer. De quoi renforcer ou développer des addictions ». Résultat : depuis quatre mois, les demandes de consultations chez cette thérapeute montent en flèche.

Pour endiguer la problématique de l’alcool, Pierre Maurage estime qu’« il faudrait plus de lois régulatrices et restrictives, éviter la publicité, augmenter les prix, limiter les heures de vente ». En temps de pandémie, il insiste sur la nécessité d’un fond alloué à la santé mentale : « La Belgique en a les moyens. Simplement, elle ne le fait pas. Outre de l’argent sur la table, il faudrait qu’en temps de pandémie, le suivi des personnes ayant un problème avec l’alcool puisse continuer comme à l’ordinaire ».

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