Covid-19 : les étudiants pas tous égaux

« Franchement, je ne voulais pas être confiné dans mon 15m2 à Paris. Ici, on est loin de tout, en pleine campagne et on se sent comme en vacances entre potes ». Dès l’annonce du président français Emmanuel Macron le 16 mars dernier, Charles et sept autres amis se sont réfugiés dans une maison de campagne en Normandie. Ils ont emprunté la voiture de leurs parents pour vivre le confinement ensemble, loin de l’épidémie. « On a souvent des cours en vidéoconférence le matin. Ensuite, c’est farniente au soleil. On est chanceux! On culpabilise parce qu’on a vraiment une image négative auprès des habitants, mais on fait avec. On s’est pris pas mal de remarques, en plus on est Parisiens… Mais c’est normal, on essaye de se faire petits! », explique Charles. Ce groupe d’amis n’est pas prêt de rentrer à Paris, ils comptent bien passer cette période de confinement ensemble jusqu’à la fin.

Si certains étudiants sont privilégiés, d’autres sont dans une impasse administrative et financière. Ces dernières semaines, le système éducatif européen a fortement été impacté par le coronavirus. Les administrations essayent tant bien que mal de résoudre les problèmes engendrés par cette épidémie. Les écoles et universités sont fermées depuis quelque temps en Belgique, en France, en Italie et en Espagne.

Les résidences universitaires ferment aussi

En Belgique, les universités sont passées à un mode d‘enseignement à distance depuis deux semaines. Beaucoup d’étudiants pensaient passer la période de confinement entre amis dans leurs logements étudiants. Les fêtes et rassemblements se sont rapidement multipliés. C’est d’ailleurs le cas à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). « Certains ont suivi les consignes méticuleusement. D’autres, absolument pas. La semaine passée, certains étudiants se sont retrouvés en groupe et ont organisé des fêtes. Nous avons dû intervenir. Nous avons aussi reçu des plaintes d’étudiants inquiets, car leurs cohabitants ne respectaient pas du tout les mesures sanitaires« , nous explique Isabelle Selleslag, responsable des installations du campus de la VUB.

L’université néerlandophone oblige désormais tous les résidents des logements étudiants à rentrer chez eux. Cette mesure a été prise, en premier lieu, pour protéger celles et ceux qui n’auraient pas la possibilité de quitter les logements. Etant donné que pratiquement toutes les chambres étudiantes sont équipées de cuisines ou salles de bain communes (parfois jusqu’à 12 personnes pour une cuisine), il était impossible de respecter la distanciation sociale. Jusqu’à présent, 107 étudiants ont fait savoir aux responsables qu’ils sont dans l’incapacité de rentrer chez eux. Ils seraient 1400 élèves à l’avoir fait. Dès que le confinement sera terminé, les étudiants pourront regagner les résidences.

 

Le campus de la VUB est totalement vide vu de la résidence étudiante. © Ebrahim Al-Hajj

 

Du côté francophone, les universités laissent le choix aux étudiants. Le gouvernement a publié une déclaration indiquant que les étudiants pouvaient rester dans leur résidence s’ils le voulaient. Cependant, ils doivent décider d’un unique lieu de confinement et éviter de faire des allers-retours avec le domicile de leurs parents.

Un retour en urgence

Mathias, lui, n’a pas du tout eu le choix. Cet étudiant en communication, à l’Université de Clermont-Ferrand, s’était envolé pour l’Uruguay il y a seulement quelques semaines pour un échange universitaire. Il a dû interrompre son séjour pour revenir en France dans l’urgence:

 

https://www.youtube.com/watch?v=C1xUThxXzn0&t=8s

 

Le sort des étudiants entre les mains des universités

L’exemple de Mathias illustre le sort de nombreux étudiants français, mais également belges. Gaëlle Ducarme, responsable du service international de l’ULB indique que près de la moitié des 366 étudiants qui étaient à l’étranger au début de la crise du coronavirus sont à présent rentrés en Belgique.

 

Près de la moitié des étudiants de l’ULB sont rentrés en Belgique. © Sophie Pouzeratte

 

L’université était concernée par la question bien avant l’arrivée du virus en Europe. Fin janvier, le sort des étudiants devant partir en Chine, et dans les pays voisins, préoccupait déjà le service. « Une autre chose qui a attiré notre attention très vite, c’est qu’on avait une dizaine d’étudiants en médecine qui allaient partir au Vietnam début février« , ajoute Gaëlle Ducarme, « ça nous a sensibilisé plus tôt que le reste de la population« . La décision d’interdire tout départ à l’étranger durant le reste du quadrimestre n’a pas traîné.

Quid des étudiants déjà partis ? À partir du 1er février, l’université proposait aux étudiants de choisir entre rester dans leur pays d’accueil, et rentrer en Belgique, en promettant de tout mettre en œuvre pour qu’ils puissent continuer leur cursus.

Le service de mobilité a également soutenu financièrement et logistiquement les étudiants en difficulté pour rentrer. « On a demandé à notre propre agence de voyage, de trouver un vol aux étudiants qui voyaient leurs avions annulés en série », indique Gaëlle Ducarme. Au total, une trentaine d’étudiants ont été aidés par l’ULB pour leur rapatriement. Si un étudiant bénéficie de cette assistance financière au rapatriement, il doit cependant renoncer à sa bourse de mobilité. Celle-ci est maintenue si l’étudiant parvient à rentrer par ses propres moyens.

Si la situation prend une ampleur exceptionnelle, ce n’est pas la première fois que Gaëlle Ducarme doit gérer des situations de crise : « Pour le service, ce n’est pas quelque chose de nouveau d’annuler un échange pour une raison de sécurité. On a déjà fait face à d’autres types de crise, comme en ce moment au Burkina Faso, où l’insécurité liée au terrorisme augmente« .  Le service est à présent mobilisé pour faire rentrer la dizaine d’étudiants encore bloqués à l’étranger.

J’ai eu mon semestre et je garde ma bourse. Finalement ma vie n’ a pas trop changé à part que je dois rester confinée.

Camille Ehret, en 3ème année d’ICAS (Licence, équivalent du bachelier, mention études culturelles, parcours culture et médias) effectue son Erasmus à Bari, dans le sud de l’Italie. Une région un peu moins touchée que le Nord, bien que l’Italie reste un des pays les plus touchés par cette crise sanitaire. Camille a choisi de rester en Italie pour se protéger elle-même et sa famille. “Ma région, l’Alsace est beaucoup plus touchée par l’épidémie que là où je suis en Italie. Pour rentrer chez moi, j’aurais dû traverser la moitié du pays en passant par des aéroports internationaux, alors cétait hors de question”. 

Selon elle, l’administration de sa faculté française a pris du temps avant de réagir et de proposer des solutions pour rapatrier ces étudiants. “Il a fallu attendre qu’il y ait le confinement en France pour qu’elle pense à nous. Avant, elle ne savait pas comment réagir car la situation n’était pas présente dans leur quotidien” explique-t-elle. Concernant le rapatriement des étudiants, c’est le pays d’origine et non le pays d’accueil qui doit s’en charger. En France, aucune obligation n’a été imposée, bien qu’ils aient “fortement conseillé aux étudiants de rentrer” et affirmé qu’ils financeraient  “l’entièreté du rapatriement.”

Sa faculté, Lille III, a pris la décision de donner à tous les étudiants (Erasmus ou non) leur semestre et la possibilité de conserver leurs bourses. Un moyen de rassurer les étudiants, et qu’ils ne voient pas leur avenir complètement chamboulé par le virus.

En Italie, « pas besoin de mettre des amendes »

D’un point de vue sanitaire, l’Italie est surchargée. Il vaut mieux se faire soigner dans son pays d’origine qu’à l’étranger, notamment pour les frais que les étudiants devraient prendre entièrement à leur charge. ”Bien sûr, je fais attention quand je sors, j’ai toujours mon gel hydroalcoolique sur moi. Mais la mentalité italienne est complètement différente de la mentalité française. Il n’y a pas besoin de mettre des amendes pour que les gens ne sortent pas, c’est plus un contrat moral », constate Camille.

 

Camille Ehret livre ses trois astuces pour ne pas déprimer : une terrasse, le soleil et un « Bullet Journal ». © Camille Ehret

Face au confinement l’étudiante ne perd pas le moral. Elle profite de la quarantaine pour tenir un « Bullet Journal », un agenda pour organiser son quotidien, dans lequel elle se fixe des objectifs journaliers comme “apprendre un monologue de théâtre par cœur”. Ses colocataires ont déserté l’appartement et elle s’est retrouvée toute seule. Ces amis étant dans le même cas de figure, ils ont choisi de se confiner ensemble. “Je passe une semaine chez moi et une semaine chez eux. Mais je limite les déplacements, je vais faire mes courses quand je vais chez eux et quand j’en reviens. Mes amis italiens me le reprochent, mais c’est un moyen pour moi de pas perdre la boule”, confie l’étudiante.

Le Covid-19 laisse les étudiants sans revenus

En parallèle, beaucoup de commerces se sont vu obligés de fermer leurs portes. Les propriétaires de restaurants, de bars, de salon de coiffure, ou autres, ont été pris de court, de même que leurs salariés. Une fermeture forcée ne met pas que le propriétaire dans une situation financière difficile. C’est également le cas de ses employés si leur contrat ne prévoit pas de chômage technique.

Les étudiants sont dans cette situation puisque la loi belge limite leur travail annuel à 475 heures, considérant que les études représentent une activité parallèle. L’étudiant n’est donc pas considéré comme un travailleur, ce qui implique qu’il n’a pas le droit au statut de chômeur. Avec les mesures de confinement, les jeunes ne toucheront pas un centime jusqu’à la réouverture de leur lieu de travail. Or, les étudiants sont majoritairement dépendants de ces revenus pour payer leurs loyers et factures. Sabrina (le prénom a été modifié, Ndlr) avait pour habitude de travailler après ses cours dans un café populaire près du quartier du cimetière d’Ixelles à Bruxelles.

Un job étudiant qui l’aidait à payer le loyer de son kot, sa nourriture et ses sorties. Maintenant confinée, Sabrina est loin de chez elle, et s’est vue être obligée de puiser dans ses économies pour s’en sortir: Je voulais retourner voir ma famille en France, mais je ne peux pas payer les billets. C’est une énorme perte de revenu pour moi. Je n’ai plus rien, je puise dans mes ressources.”

Conserver son job étudiant mais à quel prix?

D’autres jeunes ont pu garder leurs jobs étudiants. En contrepartie, ils sont exposés au risque de contamination de manière quotidienne. Loïc Mockel, livreur de pizza, a vu son temps de travail tripler depuis l’annonce du confinement. Suite à l’annulation des cours à l’université, son patron en a profité pour le solliciter davantage. Il est, ainsi, passé de 12 à 36 heures par semaine. Comme d’autres livreurs et coursiers, Loïc est conscient du risque encouru. Son patron, Nicola Corcelli, a cependant tout de suite demandé à ses employés de porter des gants et des masques.

Loïc Mockel affirme respecter le « social distancing » (distanciation sociale) de 2 mètres, mais les clients ne le respecteraient pas. « Au restaurant, nous avons une clientèle fidèle, donc je vois toujours les mêmes personnes, pas comme des livreurs Uber Eats ou Deliveroo. Les clients me connaissent, c’est certes plus agréable à vivre, mais cette relation fait que c’est difficile de leur faire comprendre qu’ils doivent respecter les mesures de sécurité. » Les clients auraient même invité l’étudiant à rentrer dans leur domicile pour la transaction.

Nous sommes obligés de travailler et de risquer nos vies, nous n’avons pas le choix.


« Le travail est d’avantage fatiguant. Être livreur, c’est une course contre la montre. Mettre des gants à chaque commande, faire attention à nos moindres faits et gestes, c’est compliqué », confie-t-il. Depuis plusieurs jours, il se demande, néanmoins, s’il ne serait pas plus raisonnable d’arrêter les livraisons, d’autant qu’il ne touche pas un euro ! C’est le manque de prudence des clients qui a poussé le jeune livreur à se remettre en question. En effet, Loïc est conscient qu’il peut mettre en danger sa famille en rentrant chez lui.

L’indépendant dit comprendre les inquiétudes de son livreur, mais affirme avoir acheté le nécessaire (gants, gels désinfectant, masques…) dès l’arrivée du coronavirus en Belgique et qu’en théorie selon lui, « ça devrait aller ». Nicola Corcelli justifie cette prise de risque : « Nous sommes obligés de travailler et de risquer nos vies, nous n’avons pas le choix. Nous ne savons pas comment l’Etat va nous aider, donc il faut assurer nos arrières », explique le patron. Ce dernier arrive à peine à payer le loyer à la fin du mois, chose qu’il faisait en trois jours avant la pandémie. Nicolas Corcelli ne se voit donc pas payer ses employés en ces temps de crise. 

Après l’annonce du confinement, Juliette (le prénom a été modifié, Ndlr), quant à elle, n’est pas rentrée chez ses parents dans le Brabant flamand, comme l’ont fait les autres élèves autour d’elle. Cette étudiante de l’ULB n’a pas eu le choix. Son travail en tant que caissière dans un supermarché à Bruxelles est très important pour elle. Ses revenus lui permettent de payer son loyer et ses factures. Ce travail, aujourd’hui « essentiel », met tout de même l’étudiante et ses collègues en danger. « Nous avons des gants et du gel désinfectant, mais une fois à la caisse, les clients ne sont pas à plus d’un mètre de nous. »

Depuis la semaine passée, l’étudiante de 24 ans pense être contaminée. Elle se plaint de difficultés respiratoires et de fatigue. Par mesure de sécurité elle a donc consulté un médecin. « Je suis en confinement dans ma chambre pour 14 jours. Ma mère va pouvoir m’aider financièrement, mais ça ne sera pas possible de manière indéfinie. De plus, tout l’argent, désespérément gagné et mis de côté, va partir dans ma propre survie », confie-t-elle. Comme pour les autres étudiants belges, le contrat de Juliette ne prévoit pas de dédommagement, de chômage ou d’aides financières.

Aux grands maux, les grands remèdes

Un secteur est exempté: la santé. Certains étudiants sont réquisitionnés. En Belgique ou en France, les mesures sont floues, dépendent des secteurs médicaux, des écoles, ou des facultés… Aucune uniformisation n’a été mise en place. Une chose est sûre, le danger, lui, est bien présent. 

Dans la loi française, il est illégal de réquisitionner des étudiants soignants dans les hôpitaux. Le terme réquisitionner entend soumettre les étudiants à travailler dans des établissements de santé. Lorsque la France est passé au stade 3 de l’épidémie, le 14 mars dernier, le “plan blanc” a été lancé, donnant le droit aux hôpitaux de réquisitionner des professionnels de la santé (soignants, retraités, infirmières libérales). Les étudiants ne sont pas concernés.

Alors pour envoyer les étudiants infirmiers sur le front, certaines écoles contourneraient les lois, selon les étudiants, grâce aux stages. Même si les instituts en soins infirmiers (IFSI) ont fermé, les stages, eux, ont bien été maintenus. “Les formatrices nous ont mis le couteau sous la gorge : soit on réalise notre stage dans un endroit imposé, soit on ne valide pas notre année.” raconte Louna (le prénom a été modifié, NdlR), étudiante IFSI en 3ème année en Nouvelle-Aquitaine. Dans d’autres écoles, les étudiants ont pu rentrer chez eux et seront appelés seulement sur la base du volontariat.

 

Nous ne sommes pas des remplaçants. Nous sommes des étudiants qui devons être formés et encadrés.


Sous couvert des stages, certains étudiants infirmiers sont envoyés sur le front sans avoir leur mot à dire. Deux cas de figure permettent d’être exemptés : ceux qui présentent des facteurs à risque ou qui vivent avec des personnes considérées comme vulnérables. C’est le cas de Louna, qui vit avec des personnes à risque. Le statut sous lequel ces étudiants réalisent leur stage et la rémunération pose également question. La formation pour devenir infirmier dure trois ans, au bout de dix mois ces étudiants obtiennent le diplôme d’aides-soignants. “Alors qu’on devait réaliser notre stage en tant qu’étudiant infirmier, là on nous demande de remplacer des postes d’aides-soignants. Or en ce qui concerne la rémunération, on perçoit le salaire d’un stage, c’est-à-dire 1,33 euro de l’heure”, déplore Louna. 

Les écoles ferment, les stages se maintiennent

En Belgique, le ministère de l’Enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles a aussi annoncé que les stages pour les étudiants en médecine sont maintenus malgré l’épidémie de Covid-19. Nadia (le prénom a été modifié, NdlR), en première année de master en pharmacie, était en stage lorsque le confinement a été déclaré. Elle a choisi de le continuer. Si tu veux rater deux ou trois semaines de stage, tu peux, mais tu dois planifier ton stage à un autre moment. Entre les examens et le mémoire, c’est très difficile de trouver d’autres dates. Et si tu ne trouves pas, alors tu rates ton année.” explique l’étudiante.

Ce qui l’a surtout convaincu de rester, c’est l’aide dont a besoin ses responsables. En effet, cette pharmacie près de Dour (Hainaut), enregistre “des records de fréquentation” depuis le début de l’épidémie, et il n’y a pas assez d’employés pour y faire face. 

 

Un masque et deux livres de médecine, le matériel nécessaire que Nadia apporte avec elle. ©Nadia

Pour le coup, c’est la vie des patients qu’on met en danger.

Les étudiants sont ceux, qui sont les plus exposés au virus. Ils sont envoyés dans des établissements sans avoir été testés, ils sont les derniers sur la liste pour recevoir des masques et des gants, sachant que nombreux établissements connaissent une pénurie. Et contrairement aux soignants, ils doivent laver leur blouses chez eux. “Le virus peut rester jusqu’à 13/14h sur les vêtements. On nous a dit qu’il fallait qu’on mettent les blouses dans des sacs poubelles puis qu’on les lave chez nous à 60 degrés. Mais certains n’ont même pas de machine à laver”, s’inquiète Louna.

Nadia qui est sur le front, hésitait à continuer son stage car les pharmaciens ne prenaient “aucune mesure de protection” au début de la crise. Lorsqu’ils ont compris l’ampleur de la situation, ils ont installé des vitres en plexiglas, des bandes au sol pour que les distances entre deux clients soient respectées et ont renforcé les mesures d’hygiène. Contrairement aux hôpitaux, les pharmacies délivrent ni masque ni gant. “C’est à nous de faire attention. En règle générale, les clients sont conscients des risques et respectent les consignes. Même s’il y a toujours des imbéciles qui viennent juste pour acheter un vernis ou de la crème solaire”, explique Nadia.