Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur français, était l’invité de l’émission « Au tableau ! » ce mercredi 20 février sur C8. Il s’est alors étendu sur la problématique des gilets jaunes et s’est exprimé à propos du lanceur de balles de défense. On dit souvent que la vérité sort uniquement de la bouche des enfants, vérifions !
On a eu une dizaine de tirs où, par accident, il y a eu des tirs sur le visage.
Pas si bon en maths, le ministre de l’Intérieur !
Ce qui pose surtout problème dans cette affirmation, c’est bien sur le chiffre énoncé. Dans un article mis à jour sur le site CheckNews.fr le 30 janvier 2019, Libération décomptait déjà 144 blessés graves, dont 92 déclarent avoir été touchés à la tête par un tir de LBD. Le collectif « désarmons-les » affiche de son coté un bilan provisoire selon lequel 21 personnes auraient perdu l’usage d’un oeil suite à des tirs de LBD40 et de grenades de désencerclement.
Source : enquête réalisée par David Dufresne et Mediapart
Monsieur Castaner semble donc bien éloigné de la violente réalité des manifestations. Mais ce n’est pas tout, avec cette affirmation, celui-ci se montre également en avance sur la justice puisqu’actuellement, pour 243 signalements déposés, 133 enquêtes de l’IGPN sont toujours en cours.
Il y a eu 1 200 blessés chez les gendarmes, les policiers et les pompiers.
Oui, mais il y a un « mais » !
Depuis le 17 novembre, le ministère de l’Intérieur décompte ainsi plus de 1 400 blessés chez les forces de l’ordre. Ces chiffres officiels sont communiqués par les autorités dans un rapport de l’inspection générale de la police nationale. Ceux-ci semblent donc promouvoir une certaine transparence de la part de l’Etat mais ils servent surtout d’arguments béton en faveur du LBD.
En effet, aucune information n’est communiquée sur le contexte de ces blessures. De plus, les autorités ne font pas de distinction entre blessés graves et légers. Mêmes éléments de langage du côté du Sicop, le service communication de la police nationale. En résumé, les autorités ne communiquent pas sur le nombre de policiers et gendarmes blessés ayant strictement lieu pendant les manifestations de gilets jaunes. Quelques cas ont été médiatisés, mais ils ne constituent en aucun cas une liste exhaustive.
Source : enquête réalisée par Pauline Moullot pour CheckNews
Pour y voir plus clair :
- Que prévoit la loi pour l’usage du LBD ?
L’utilisation du lanceur de balles de défense est encadrée juridiquement par une instruction arrêtée par le ministère de l’Intérieur le 2 septembre 2014. Celle-ci rappelle que le LBD ne peut-être utilisé que dans le cadre de manifestations ou de violences commises à l’égard des forces de l’ordre. Dans cette instruction, « Le LBD de 40 mm peut être employé lors d’un attroupement mentionné à l’article 431-3 du code pénal, en cas de violences ou voies de fait commises à l’encontre des forces de l’ordre ou si elles ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent, sans qu’il soit fait usage des sommations ». En d’autres termes, cette arme ne devrait servir qu’à défendre les gendarmes et policiers quand ceux-ci sont attaqués ou menacés de l’être.
Le texte reprend également une sorte de manuel décrivant les recommandations d’emploi du LBD. Celui-ci mentionne la distance à conserver entre le tireur et la personne visée, les mesures de sécurité afin d’éviter les dommages collatéraux ainsi que les parties du corps qui peuvent être touchées.
- Quelles sont les parties du corps qui peuvent être visées par le LBD ?
Durant son passage dans l’émission, Monsieur Castaner a tenté tant bien que mal de répondre à cette question. Ce dernier s’est alors montré très hésitant, se défendant de ne pas être très calé sur la question : « Je ne suis pas un spécialiste, je n’en ai jamais eu un entre les mains et j’espère ne jamais en avoir entre les mains. »
L’instruction relative à l’utilisation du LBD prévoit des précautions d’emploi qui réclament au tireur de viser de façon privilégiée le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs. Il y est également stipulé que la tête ne doit pas être visée.
Par ailleurs, une certaine conduite est recommandée après avoir fait usage de l’arme, « Après un tir, il convient de vérifier sans délai si la personne atteinte par un projectile et qui a été interpellée ne présente aucune lésion. Dans tous les cas, l’individu touché reste sous la surveillance constante des agents de la police ou de la gendarmerie nationales. Quelle que soit la zone corporelle atteinte, un examen médical doit être pratiqué dans les meilleurs délais et un certificat médical descriptif doit être délivré par le praticien. »
- Le LBD est-il aussi utilisé en Belgique ?
En Belgique, le cadre d’utilisation est très restreint. Ce type d’armes existe mais ne peut être manipulé que lors d’interventions en prison ou dans le cas d’une neutralisation rapide et urgente d’une menace dangereuse, par exemple durant une prise d’otages.
Pour le président d’Amnesty Philippe Hensmans, « on a pas besoin d’armes comme cela en Belgique car la police a toujours été capable d’intervenir dans les manifestations sans y avoir recours. Bien sûr, dans des cas de force majeure, cela pourrait arriver qu’un policier l’utilise, mais c’est vraiment rare. Quand on voit ce qu’il se passe en France, on ne peut nier les dangers liés à l’utilisation d’une arme comme celle-là » En réalité, l’utilisation du lanceur de balles de défense n’est plus très répandue en Europe. La France est l’un des seuls pays à y avoir recours avec la Grèce, la Pologne et l’Espagne où il est utilisé uniquement par la gendarmerie (sauf en Catalogne).
- Vers une interdiction du LBD ?
Si son usage fait polémique, il reste néanmoins autorisé par le Conseil d’Etat. En effet, saisi pour trois recours en urgence le 1er février dernier, la juridiction administrative n’a pas suspendu l’usage de LBD.
Cependant, un mémorandum sur le mouvement des gilets jaunes a été publié par le Conseil de l’Europe ce mardi 26 février. Dans celui-ci, la Commissaire aux droits de l’Homme Dunja Mijatovic « condamne fermement les violences commises à l’encontre des forces de l’ordre » mais recommande aux autorités de « ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et de « suspendre l’usage des lanceurs de balles de défense (LBD) dans le cadre des opérations de maintiens de l’ordre ». Il s’agit d’une mesure préventive qui appelle à clarifier la doctrine d’emploi des armes de force intermédiaires afin d’en proportionner l’usage et de limiter les dégâts.
Au sein du Parlement européen, le sujet fait également débat. Une résolution publiée le 14 février invitait les Etats membres à « veiller à ce que le recours à la force par les services répressifs soit toujours légal, proportionné et nécessaire et qu’il ait lieu en ultime recours et à ce qu’il préserve la vie et l’intégrité physique des personnes », et rappelait que « le recours aveugle à la force contre la foule est contraire au principe de proportionnalité ».
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