Etat d’urgence, déchéance de nationalité : le vrai du faux des propos de Manuel Valls

Manuel Valls s’est exprimé vendredi 5 février 2016 devant les députés français pour défendre le projet de révision constitutionnelle. Nous avons démêlé pour vous le vrai du faux des propos du Premier Ministre français.

Au lendemain des attentats du 13 novembre en France, l’état d’urgence et la déchéance de nationalité sont au cœur des discussions. Le 5 février, Manuel Valls est venu défendre à l’Assemblée le projet de révision constitutionnelle, qui a pour objectif d’inclure la déchéance de nationalité et l’état d’urgence dans la Constitution. Retour sur ce discours.

«L’application de l’état d’urgence n’affecte en rien le débat démocratique»

A NUANCER

« Invoquer l’état d’urgence, c’est démocratique ! » affirme Éric David, chercheur en droit international à l’Université Libre de Bruxelles. Selon l’article 15 de la Convention Européenne des droits de l’Homme, « en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation», toute autorité politique peut invoquer l’état d’urgence.

Mais qu’en est-il du débat démocratique depuis la mise en place de l’état d’urgence la nuit du 13 novembre 2015 ? Manuel Valls affirme dans son discours que le débat démocratique reste intact, que « tous les journalistes peuvent exercer librement leur professions, les élections régionales ont eu lieu 3 semaines après les attentats du 13 novembre, et le droit de manifester n’est en aucune manière entravé ». Pourtant certaines manifestations publiques ont été interdites à Paris. Parmi elles, la grande manifestation qui devait se tenir dimanche 29 novembre, à la veille de la COP 21.

« L’état d’urgence porte atteinte à l’État de droit, mais cela n’a pas d’importance, explique Nicolas Cohen, avocat au Barreau de Bruxelles, car c’est dans un cas exceptionnel. » Par contre, étant donné que le gouvernement souhaite prolonger l’état d’urgence de trois mois, le caractère exceptionnel peut être remis en question et ne plus justifier les atteintes à l’État de droit.

Pour en savoir plus : L’Obs, Attentats : pourquoi ils pensent que l’état d’urgence est dangereux pour la démocratie.

 

« Ce texte (qui inclue la déchéance de nationalité, NDLR), garant de l’égalité républicaine ne fera ainsi aucune distinction fondée sur la naissance, sur le mode d’acquisition de la nationalité, ou sur la détention d’une ou plusieurs nationalités »

FAUX

C’est justement la question qui divise la classe politique : peut-on déchoir aussi de leur nationalité les personnes qui n’ont que la nationalité française ? Depuis 1998, l’article 25 du Code civil précise que la déchéance de nationalité ne peut pas « rendre apatride », donc ne peut concerner que les binationaux. « En France c’est un jour un point de vue, un jour l’autre, plaisante Nicolas Cohen, mais au niveau du droit international, on ne peut pas créer d’apatrides. » De plus, le 27 janvier 2016, le Premier Ministre a annoncé que la France allait ratifier la Convention de 1954 interdisant de créer des apatrides.

Le texte ne concernerait donc finalement que les binationaux. « Les gens qui sont devenus français ont un statut plus fragile », nous explique encore Éric David. « La question qu’il faut se poser, c’est si cette mesure est juste ! Il y a une forme de discrimination des Français binationaux, continue-t-il. Si un Français français commet des actes terroristes, il ne subira pas le même sort ». Il sera donc difficile de garantir l’égalité de jugement pour tous, tout en s’interdisant de créer des apatrides.

A lire aussi : Slate.fr : Faut-il attaquer au nom du principe d’égalité l’extension de la déchéance de nationalité ?

 

Marie Rigot et Marine Souxdorf