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La déchéance de nationalité : 5 questions pour y voir plus clair

Publié le 11-02-2016 par

Ce mardi 10 février, l’Assemblée Nationale française a adopté le projet de révision constitutionnelle. Ce dernier touche notamment à la déchéance de nationalité. Zoom sur une mesure plus que controversée.

La déchéance de nationalité est au cœur de toutes les discussions en ce moment en France. Alors que le débat se centre surtout sur le problème de la discrimination par rapport aux binationaux, la mesure proposée par Manuel Valls dans le cadre d’un projet de révision constitutionnelle remet également en question bien d’autres aspects de la démocratie française. Pour mieux comprendre les enjeux de cette réforme, retour sur cinq questions fréquemment posées sur la déchéance de nationalité.

Quel est le régime actuel de déchéance de nationalité en France ?

Actuellement, il est déjà possible de déchoir un individu de la nationalité française selon les articles 25 et 25-1 du Code Civil. Cette déchéance ne peut cependant avoir lieu que si l’individu a obtenu la qualité de français et qu’il ne sera pas rendu apatride suite à cette décision. N’étaient donc visés jusqu’ici que les binationaux. La déchéance de nationalité fait principalement suite à “un crime ou un délit constituant soit une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation soit un acte de terrorisme” punis d’au moins dix ans d’emprisonnement. Mais ce crime ou ce délit doit être commis durant les quinze années qui suivent l’acquisition de la nationalité, une fois passé ce délai, la déchéance de nationalité ne peut plus avoir lieu. La décision de déchoir un individu de sa nationalité doit être validée par le Conseil d’Etat et être inscrite dans un décret.

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La déchéance de nationalité pouvait être prononcée jusqu’à présent, selon le Code Civil, dans les quatre situations ci-dessus. Credits photo : Joe Gratz (Flickrr)

Quelles sont les modifications envisagées par le gouvernement français?

Le projet de révision constitutionnelle porté par Manuel Valls modifiera le principe de déchéance de nationalité à plusieurs niveaux. Tout d’abord, la mesure figurerait dans la Constitution, ce qui, jusqu’à présent, n’était pas le cas. Ensuite, la déchéance de nationalité deviendrait une peine complémentaire prononcée par un juge judiciaire et il ne faudrait plus passer par un décret. Enfin, la déchéance ne concernerait plus uniquement les binationaux ayant obtenu la nationalité française mais également ceux qui sont nés français. Le gouvernement souhaiterait que la mesure concerne également les français sans autre nationalité. Ce dernier point est le plus compliqué et conflictuel.

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Des personnes risquent-elles de se retrouver sans nationalité ?

Pour éviter toute discrimination envers les binationaux, Manuel Valls a émis la possibilité de pouvoir déchoir également de leur nationalité les français ne possédant pas d’autres nationalités. Si c’était le cas, ces personnes se retrouveraient donc apatrides. Mais cela est-il possible? « Cela n’a aucun sens”, s’emporte Nicolas Cohen, avocat au Barreau de Bruxelles, “le droit international dit qu’on ne peut pas créer d’apatrides, la proposition de Manuel Valls ne tient pas la route”. L’apatridie n’est donc pas à craindre mais la discrimination envers les binationaux reste toujours d’actualité.

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Comment un gouvernement de gauche en arrive-t-il à une telle mesure?

La déchéance de nationalité est une mesure prônée depuis toujours par l’extrême droite et plus particulièrement par le Front National. C’est pourtant bien un gouvernement de gauche qui veut faire adopter la mesure. Comment expliquer cela? La raison principale se trouve dans les attentats du 13 novembre 2015. Dans une telle situation de panique, le gouvernement se doit de prendre des mesures symboliques pour “rassurer” les français. C’est le cas de la déchéance de nationalité. Même si son efficacité dans la lutte contre le terrorisme est plus que mise en doute, cette mesure a le don de rassurer la population. Mais, toutefois, le projet est loin de faire l’unanimité et nombreux sont les politiciens, de droite comme de gauche, qui s’opposent au projet de révision constitutionnelle du gouvernement.

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.@nk_m dans #BourdinDirect « Personne ne pense raisonnablement que la #decheancedenationalite va changer quelque chose » — NKM-La France Droite (@LaFrancedroite) 3 Février 2016

Si la France est « en péril de paix », alors ne la divisons pas davantage! #égalitédetouslesFrançaisdevantlaloi #decheancedenationalite

— Jean-Marc Ayrault (@jeanmarcayrault) 27 Décembre 2015

Est-ce que cette mesure a déjà eu un impact positif dans d’autres pays européens ?

Je ne pense pas que la déchéance ait déjà porté ses fruits dans un autre pays” explique Nicolas Cohen, “son utilité dans la lutte contre le terrorisme reste assez floue, il s’agit la plupart du temps d’une mesure plus symbolique”. La déchéance de nationalité existe pourtant bien dans plusieurs pays européens, tels que l’Autriche, la Grèce et le Royaume-Uni, mais selon notre spécialiste, “elle reste rarement utilisée et il est difficile d’en évaluer l’efficacité”. En Belgique, la mesure est appliquée mais uniquement dans le cas de binationaux. En Suède, les députés, à l’exception de ceux de l’Extrême droite, ont rejeté à l’unanimité ce mercredi 10 février la mesure visant à déchoir de sa nationalité toute personne ayant commis un acte terroriste. Les pays européens ont donc, pour certains, des positions radicalement opposées quant à la déchéance de nationalité.

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Sur cette carte, les pays européens pratiquant la déchéance de nationalité. En rouge, ceux qui l’appliquent à tous les citoyens; en jaune, ceux qui l’appliquent seulement aux binationaux (en théorie). Crédits :  Marine Souxdorf

Marie Rigot et Marine Souxdorf

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