Seul au tribunal de police : un semblant de justice

Panser la Justice

Seul au tribunal de police : un semblant de justice

En Belgique, le citoyen peut se défendre seul devant tous les tribunaux. Réel droit individuel ou simple simulacre de procédure ?

Seul au tribunal de police : un semblant de justice

En Belgique, le citoyen peut se défendre seul devant tous les tribunaux. Réel droit individuel ou simple simulacre de procédure ?

Ines Delpature
Les tribunaux de police sont un lieu de prédilection pour assister à des défenses sans avocat. Compétents dans plusieurs domaines, ces tribunaux sont principalement mobilisés pour trois choses : les amendes administratives, les demandes relatives à la réparation d’un dommage et les infractions routières.

F.D., convoqué au tribunal de police de Charleroi il y a quelques mois, décrit : « Vous entrez dans une salle assez grande, aux murs recouverts de lattes en bois. Une quinzaine de bancs s’étale devant vous. Et au bout de la pièce se situe un vaste bureau, monté sur pupitre. Derrière lui, assis, on trouve le juge, le procureur et le greffier. C’est assez impressionnant, car tout le monde entre dès 8h30, dans l’attente du début d’audience, à 9 heures. Chacun patiente ensuite jusqu’à l’appel de son nom, en sachant que les avocats bénéficient d’un passage prioritaire.  »

Il en est de même au tribunal de Bruxelles. La salle B1 est aujourd’hui le lieu pour traiter les affaires pénales du tribunal de police bruxellois francophone. Au détour d’un couloir, une porte, au fond, sur la droite, s’ouvre sur une salle dénudée. La pièce est plus exiguë, grise, meublée par des rangs de chaises en plastique. On est loin de l’aspect classieux dont bénéficient les salles d’audience dans l’imaginaire commun. Trois femmes siègent derrière un simple bureau, en tant que représentantes de la Justice. À 9h12 du matin, 36 personnes sont dans la pièce. Seules huit sont accompagnées par un avocat.

La « Cour des Miracles »

« J’étais entouré par une population marginale de Charleroi à 90 % » rit F.D, « Ils étaient émergents du Centre Public d’Aide Sociale (CPAS), alcooliques, toujours récidivistes. Et ils se présentaient toujours seuls devant le juge. Leur défense ? ! (Rires) « Je ne le referai plus Monsieur le Juge. J’ai compris la leçon. » Le procureur a fini par s’exclamer, excédé, face à une personne convoquée : « Vous nous avez déjà dit ça ! Et vous revoilà ici, six mois plus tard ! » C’est digne de la Cour des Miracles, vraiment.  »

Une constatation que rejoint Simon D., jeune homme de 25 ans, déjà convoqué par deux fois au tribunal de police de Namur :

« La première fois où j’ai été convoqué, c’était après avoir fumé quelques substances dans la voiture. Je me suis fait contrôler en rentrant et bien évidemment, la fumée et l’odeur qui se sont échappées lorsque j’ai ouvert ma vitre au policier n’ont laissé aucun doute à l’homme en uniforme sur la nature de ma consommation. (Rires) J’ai eu le test salivaire immédiatement. Qui s’est révélé, sans surprise, positif. Ensuite j’ai été embarqué en combi pour la prise de sang et pour être auditionné, bref. Quelques mois plus tard, je passais devant le tribunal de police de Namur pour « conduite en état d’ébriété »J’étais jeune conducteur, stressé à l’idée de ne pas savoir ce qui allait m’arriver. J’avais donc sorti le petit costume, j’avais fait un effort, je passais bien quoi ! Et puis, en arrivant sur place, j’ai vu tous les cas du Namurois. J’ai vu de tout : des trainings, des casquettes, des maillots de foot de faible qualité… J’ai vu plus de mauvais que du beau !  »

Une justice expéditive

Simon D. poursuit, le visage plus sombre  : « En vrai, ce qui m’a choqué, c’est que c’est une justice très expéditive. Tout le monde est là, ce sont toujours les mêmes infractions qui reviennent, et le but, c’est que ça avance ! »

Ce sentiment est confirmé par Maître Martin Favresse. Installé dans son bureau de Wavre, au sein du cabinet Lexel, l’homme aux traits jeunes et aux cheveux grisonnants précise d’une voix tempérée : « Beaucoup de personnes sortent frustrées de leur audience. Après avoir tenté de s’expliquer, ils ont l’impression de ne pas avoir été écoutés. C’est à cause d’un manque de moyens et de magistrats. Un manque de moyens, car la Justice n’encadre pas ces plaidants solitaires, ne leur donne pas les outils nécessaires à une bonne compréhension de la situation. Et un manque de magistrats, bien que ce point soit aussi lié au manque de moyens, car suite au faible nombre de juges disponibles, les tribunaux sont obligés de traiter un maximum de cas en un minimum de temps, afin de faire avancer les procédures. Et caler 80 affaires en trois heures d’audience n’est pas une chose aisée ! »

Un fait vérifié lors de notre visite au tribunal de police de Bruxelles, où la durée des comparutions devant la Juge oscillait entre 4 et 15 minutes maximum.

L’avocat, un incontournable

Maître Favresse, spécialisé en droit de roulage, est intimement convaincu de l’utilité d’un avocat lors de procédures pénales. « Le tribunal de police est particulier. Il possède une section civile, mobilisée dans le cadre d’accidents, de demande de réparations de dommages corporels et autres ainsi qu’une section pénale, mobilisée dans le cadre de la poursuite d’infractions variées. Devant ce tribunal se retrouvent donc toutes les catégories de personnes : des chômeurs, des professions libérales, des cadres d’entreprise… On peut tous être touchés par une infraction routière ou un accident de roulage. Statistiquement, on évalue d’ailleurs qu’une même personne passe, en moyenne, tous les trente ans devant le tribunal de police. Bien que certains explosent largement ce quota. On voit de tout et les gens convoqués n’ont pas forcément les moyens financiers ou l’envie de faire appel à un avocat. »

Et c’est là l’erreur : puisqu’il s’agit d’une procédure pénale, il y a des spécificités qu’il est nécessaire de connaître, comme la charge de la preuve ou l’existence de peines alternatives, que seule une personne spécialisée et compétente peut maîtriser. 

Caroline Bugnon, avocate du barreau de Namur spécialisée dans les infractions routières et actuellement juge suppléante au tribunal de police attenant, ne mâche pas ses mots sur le sujet : « Sans spécialisation, on risque de donner de mauvais conseils aux clients. Il y a des choses ponctuelles qui sont liées au caractère pénal de cette procédure, comme la constitution du délit de fuite, le délai de prescription, etc., qui ne sont accessibles qu’à une personne formée et qui sont nécessaires pour l’obtention d’un acquittement. »

Ses cheveux blonds s’agitent au rythme soutenu de son discours énergique. « Prenons l’exemple de l’état d’ivresse. Il y a des éléments constitutifs dans cette infraction que tout un chacun ignorera. C’est le cas de l’élément moral, notamment, qui revient à établir que la personne n’a pas consommé de l’alcool alors qu’elle savait pertinemment qu’elle allait devoir prendre le volant par la suite. La personne seule tentera simplement de se défendre à l’aide d’un « Je suis désolé.e M/Mme le/la juge, j’avais trop consommé ». Ou mieux encore ! Dans le cas d’une personne seule, cette dernière n’ira pas consulter son dossier avant sa comparution. À l’inverse d’un avocat, pour qui il s’agit de faire son boulot. Sauf que cette consultation peut amener de nombreux éléments qui permettront l’acquittement. Reprenons l’exemple de conduite en état d’ivresse. Vous faites un accident, en prime. Si vous êtes défendu par l’intermédiaire d’un avocat, il demandera l’application de peines distinctes, à savoir l’une pour l’incident de roulage, et l’autre pour l’ivresse. Et poussons le raisonnement plus loin ! Cette peine distincte est très intéressante pour le client, d’un point de vue assurance. Imaginons : lors de votre accident, vous avez blessé quelqu’un. Votre assurance le rembourse. Et puis, votre assurance se retourne contre vous, afin d’être remboursée des frais qu’elle a décaissés, puisque vous aviez bu lors de l’incident et votre contrat précise que l’assurance ne couvre pas les frais liés à un accident en état d’ivresse. Sauf que ! L’assurance doit prouver un lien causal entre votre ivresse et l’accident. Et ce grâce à votre dossier judiciaire. Sauf que, si vous avez bénéficié de peines distinctes, à savoir si votre ivresse a été jugée séparément de votre accident, vous avez 50 % de chance en plus que votre assurance n’arrive pas à prouver le lien causal. Et donc de ne pas devoir la rembourser ! »

Les jeux sont déjà joués !

La première fois, j’étais stressé. Après, les autres fois, je m’en fichais. Je savais à quoi m’attendre.
Simon D.

Voilà ce que pense le jeune Simon D., lors de sa troisième convocation au tribunal de police de Namur. « J’avais fait un excès de vitesse. Il faut dire, c’était un bel excès de vitesse ! J’ai été flashé à Namur, sur une nationale limitée à 90km/h. J’ai été pris à 185, vitesse corrigée 172km/h. C’était encore en décembre en plus ! Il faut vraiment que j’arrête de conduire en décembre, je n’ai à chaque fois que des galères ! (Rires). Il faut dire que je n’adapte ni ma vitesse, ni mon type de conduite aux conditions climatiques. Enfin bref ! Donc là, j’ai eu un retrait de permis immédiat, durant 15 jours, précisé par lettre recommandée. J’ai été convoqué au tribunal par la suite, accompagné d’une avocate. Au début, j’ai tenté vaille que vaille de me défendre moi-même. J’étais parti inventer au juge que j’avais oublié mon Code de droit, absolument nécessaire pour passer mon oral, et que les oraux ne vous attendent pas ! Je m’étais donc fait choper par le flash durant ce moment de grand stress entre ma faculté et mon domicile. C’était faux, j’avais juste réussi mon examen, j’ai poussé la voiture comme un débile pour me faire plaisir, et je n’ai pas vu ce satané radar mobile. Le Juge n’a pas cru un mot de mon histoire. L’avocate a donc rapidement repris les choses en main, et je m’en suis sorti avec 1000 euros d’amende. 600 euros d’amende pure, puis les divers frais, lettres recommandées et participation aux caisses de cotisation. C’est douloureux sur le moment. Mais après, je n’ai pas eu de retrait supplémentaire, ni de sursis, donc j’étais déjà heureux, au vu de mon passif de conducteur ! (Rires). Mais honnêtement, j’ai eu le sentiment que ça prenait une minute et trente secondes ! »

Il s’agit d’un problème éducatif. Pour certains, aller au tribunal est déjà une sanction. Pour d’autres, c’est une routine ! 
Maître M. Favresse

Pour Maître Favresse, il y a « toujours quelque chose à dire, à faire. Je n’ai pas d’exemple à donner, mais je suis toujours étonné du nombre de personnes qui tentent de se défendre seules au tribunal de police, car elles pensent que les jeux sont déjà joués ! D’expérience, je dirais qu’un tiers sont accompagnés d’avocats, qu’un autre tiers ne se présente pas. Et que le dernier tiers se présente seul. Alors que c’est une mauvaise idée : le procureur vise toujours large lors de sa réclamation de peine. Pourtant, une connaissance profonde d’un dossier peut réellement changer la donne. Beaucoup de sanctions sont en décalage avec la réalité, en plus. Sans avocat, vous pouvez vite vous retrouver, en tant que délégué commercial, avec un retrait de permis de trois mois et les quatre examens à repasser, à savoir le théorique, le pratique, le médical et le psychologique. Autant de sanctions qui auront pour éventuelle conséquence de vous faire perdre votre emploi. Et on arrive rapidement à ce genre de situation ! Il suffit de rouler à 85km/h dans un tunnel limité à 50km/h, et de mal voir une zone travaux dans les trois ans qui suivent, d’être pris à nouveau, et vous voici récidiviste, avec toutes les peines durcies que cela entraîne. La récidive, ça ne concerne pas que les bandits qui écrasent les gens ou les alcooliques. Et ça, beaucoup d’usagers ne s’en rendent pas compte, et ne se responsabilisent pas face à leurs actes. Un exemple de ce manque de responsabilisation : en Belgique, vous pouvez être titulaire d’une plaque d’immatriculation sans pour autant posséder un permis. Imaginons, dans la famille Z, que X titularise une plaque d’immatriculation à son nom. Sauf que X n’a pas de permis. Par contre, Y et U, membre de la famille Z, ont un permis et utilisent la voiture. Si l’un d’eux fait une infraction pénalement répréhensible, c’est X qui sera responsable ! Et convoqué ! Et accusé, en plus, de conduire sans permis ! Vous voyez le genre d’engrenage dans lequel on met vite le doigt. »

Le cercle vicieux

Christiane a 50 ans. Issue du Borinage, elle a mis un doigt dans l’engrenage judiciaire. Depuis, elle n’en est jamais sortie. Simple, avec un franc parlé et un accent marqué, elle raconte son histoire. L’histoire qui, pour elle, a « ruiné une partie de ses plus belles années. »

« J’ai eu une amende pour excès de vitesse. Je suis allée au tribunal, toute seule. Ils m’ont donné comme peine de payer l’amende. Sauf qu’avec les frais de justice et ce qui s’ajoutait sur le côté, je n’ai pas réussi à payer. Ce n’était pas du tout une peine adéquate, vu mon profil financier. Donc j’ai laissé couler. J’ai été arrêtée quelques mois après et j’avais oublié ma carte d’assurance à la maison. Sauf que je savais qu’à cause de ça, ils allaient se souvenir que je n’avais pas réglé ma peine de la première fois. Donc j’ai voulu m’expliquer avec les policiers. Ça a vite mal tourné. J’ai à nouveau été convoquée au tribunal, pour des faits plus graves que mon excès de vitesse cette fois. J’ai encore voulu me défendre seule. Maintenant, j’ai toujours pas mal d’embrouilles à cause de ces deux affaires. D’autres en ont découlé on va dire. »

C’est ce genre de situations auxquelles Maître Favresse faisait allusion lorsqu’il dit que « la Justice abandonnait des personnes pas suffisamment sensibilisées ou éduquées par manque de moyens judiciaires. En appliquant des peines non adaptées au profil des usagers, comme des amendes trop conséquentes ou des déchéances du droit de conduire trop longues, les gens se sentent poussés vers l’illégalité. » C’est-à-dire ne pas payer. Ou prendre le volant malgré la confiscation du permis de conduire. Et autres. En voulant être rapide, précis, en fonctionnant à l’aide de barèmes, le tribunal de police oublie d’être humain. Au détriment de personnes qui sont souvent parmi celles qui ont le plus besoin d’être accompagnées au sein de la population du pays.

La protection juridique, ce fléau

Ce qui fait particulièrement dresser les poils de Caroline Bugnon, ce sont les services de protection juridique. Ils sont généralement inclus dans les assurances automobiles des usagers de la route. « Quand je les vois, je hurle. Ils sont soit très compétents, soit désespérants. Dans le cas des infractions de roulage, ils vont toujours conseiller la même chose à leurs clients : ne prenez pas un avocat ! Allez-y seul ! Le juge va tout vous expliquer ! Sauf que non. Pour de multiples raisons, le juge n’explique rien du tout. Et si vous n’avez pas un avocat à vos côtés, ou si vous n’avez pas eu au moins une consultation en amont avec un professionnel pour savoir ce à quoi vous avez droit, ce que vous pouvez réclamer, ce n’est certainement pas le juge qui va prendre le temps de tout vous expliquer. Un exemple concret : si vous ne demandez pas une peine alternative à la place de la déchéance proposée par le procureur, personne ne vous la proposera. Et vous subirez les difficultés liées à votre déchéance. »

Et l’avocate ajoute : « Un point où les protections juridiques excellent aussi, c’est lors de réclamations pour préjudices corporels. Elles font une simple synthèse du tableau indicatif et se fichent de la jurisprudence. Ce qui donne, par exemple, que vous obteniez un forfait plutôt qu’une capitalisation, pour être remboursé. Ce qui fait que leur décompte ne correspond pas à ce qui aurait pu être obtenu dans une procédure. Et ce qui divise parfois par deux la somme allouée. Ou plus. En vrai, tous ne sont pas incompétents. Et je comprends que les gens ne veulent pas payer et cette assurance, et un avocat. Ça revient à payer deux fois. »

Pour lutter contre ce faux-semblant selon lequel « on n’a pas besoin d’un avocat au tribunal de police », pour favoriser des classes sociales moins familières au milieu et leur éviter d’entrer dans un engrenage sans limites, pour éviter que des personnes bien intentionnées ne soient victimes de mauvais conseils suite à des avocats non qualifiés ou des protections juridiques d’assurances incompétentes, les barreaux belges se mobilisent. Ce mois-ci a d’ailleurs lieu une initiative où les avocats « offrent  » une consultation pour la somme de 50 euros, et ce « dans le but d’offrir la possibilité aux convoqués d’avoir un minimum d’outils en main face au juge, s’ils n’ont pas l’envie ou les moyens d’être accompagnés par un ou une avocate », clôture Caroline Bugnon.

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