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Covid-19 : 2020, une bombe à retardement pour l’Horeca ?

"Dolma", un restaurant végétarien situé à Ixelles, a fermé cet été. D'autres établissements résistent pour le moment à la pandémie, mais craignent les mois à venir. © Nicolas Perrin

Même si les statistiques indiquent un nombre de pertes d’emplois et de faillites modéré, l’Horeca craint les conséquences futures de la crise sanitaire sur le secteur.

Article rédigé le 9 décembre 2020.

«C’est comme ça. J’ai perdu dix ans de ma vie économique. J’ai travaillé pendant dix ans pour rien. Ce n’est vraiment pas évident.» Les mots de Daniel, propriétaire d’une brasserie dans le Brabant wallon, résument bien la détresse de l’Horeca face aux conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19. Pour ce secteur, l’année 2020 aura été chaotique. Entre fermetures obligatoires, confinements et restrictions pour assurer le respect des normes sanitaires, les restaurants, les cafés et les bars ont dû sans cesse s’adapter.

Souvent considéré comme l’un des principaux vecteurs de contamination par le gouvernement, l’Horeca a été soumis à des règles bien plus strictes que d’autres secteurs économiques. Pourtant, selon une analyse néerlandaise relayée par La Libre Belgique le 8 décembre, «la réouverture des restaurants n’aura pas d’effet négatif sur le taux de reproduction» du virus. 

Des chiffres trompeurs 

Le secteur est présenté par les médias et les syndicats comme l’un des plus touchés par la pandémie. Les prévisions du bureau d’études Foodservice Alliance, relayées par L’Echo, estiment, aussi, que 40% des établissements de l’Horeca ne pourraient plus honorer leurs obligations financières, et seraient en faillite technique d’ici fin 2020.

Mais lorsque l’on se penche sur les chiffres, on se rend compte qu’ils ne traduisent pas, à première vue, cette idée. Le nombre de faillites observé dans le secteur est moins élevé en 2020 par rapport à l’année précédente. Entre janvier et octobre, 1.173 établissements ont cessé leur activité cette année contre 1.658 en 2019.

Dominik Roland, responsable national CGSLB (Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique) pour l’Horeca, affirme que «les faillites arriveront en 2021.» Christian Bouchat, secrétaire régional de la FGTB Horval (Fédération générale du travail de Belgique) le rejoint sur ce point car, selon lui, les moratoires ont seulement permis de «reculer pour mieux sauter» en contenant les faillites.

Des employés échappent aux radars

Au niveau des pertes d’emplois, là aussi, les chiffres ne traduisent pas les inquiétudes du secteur. De janvier à octobre 2020, on dénombre 642 pertes d’emploi de moins qu’en 2019. Les seuls mois durant lesquels ces chiffres ont été plus importants qu’en 2019 sont juin et juillet, lors de la reprise de l’activité après le premier confinement. Cela sera-t-il, une nouvelle fois, le cas en 2021 lorsque les établissements pourront rouvrir ?

La réalité du secteur est très opaque. Christian Bouchat, secrétaire régional de la FGTB Horval (Fédération générale du travail de Belgique), revient sur ce qu’il avait déclaré dans un entretien au quotidien L’Echo et affirme que «jusqu’à 95% des boîtes qui font faillite ont trop fonctionné sur le black.» 

En effet, selon lui, le secteur de l’Horeca se repose beaucoup sur le travail informel et embauche un grand nombre de travailleurs sans les déclarer, ou bien ne déclare pas la totalité des heures qu’ils effectuent. Cela représente un problème pour les travailleurs en temps de Covid, puisque l’indemnité de chômage temporaire est octroyée sur la base des heures déclarées.

Enfin, certains travailleurs n’étant tout simplement pas déclarés, leur existence administrative n’apparaît pas, et la mesure des pertes d’emploi devient très relative.

Un secteur à restructurer

Concernant l’après Covid, les questionnements et inquiétudes ne se posent pas seulement autour des faillites et des pertes d’emplois. Selon Dominik Roland (CGSLB), «on risque une fuite de cerveaux, beaucoup de travailleurs qualifiés dans l’Horeca partiraient, et il est très difficile de trouver une main d’œuvre qualifiée dans le secteur. On perdrait de la stabilité et de la concertation sociale. C’est un enjeu stratégique pour les mois et années à venir.»

L’Horeca de demain pourrait, donc, être repensé et différent de celui d’hier. «On peut se demander quel modèle d’organisation de l’Horeca nous verrons apparaître. Un modèle qui demande de la qualification ou non, un modèle sain ou non, un modèle précaire ou non, basé sur la rentabilité à court terme ou sur la volonté de s’inscrire dans un tissu socio-économique durable», argumente Dominik Roland.

S’il est primordial de sauver le secteur, «les entreprises malsaines doivent disparaître», affirme Christian Bouchat (FGTB), qui se risque à une analogie osée. «En période de crise aviaire, on doit tuer quelques poulets.»

Daniel, propriétaire de la brasserie, compare, de son côté, la situation des restaurateurs au mur du son dans l’aviation. «On voit d’abord l’avion, et ensuite, on entend le bruit. Ici, la catastrophe va arriver derrière.»

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