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Covid-19 : davantage de cas dans les communes bruxelloises les plus précaires

Cet automne, la Belgique est l'un des pays les plus touchés par la recrudescence des cas de Covid-19. © Kobu Agency, via Unsplash.

Les communes du nord de la capitale semblent plus touchées par la crise sanitaire que celles du sud de Bruxelles.

Article rédigé le 5 novembre 2020.

« Ceux qui se débrouillent le mieux, qui sont bien équipés, qui parlent bien français et qui s’y retrouvent dans les arcanes de l’administration, s’en sortent. Ceux qui ont des difficultés ne s’en sortent pas », commente Samuel Haquin, coordinateur général de l’ASBL La Porte Verte, un centre social à Molenbeek. Ces propos illustrent bien la situation actuelle au sein de la capitale belge.

Molenbeek, comme d’autres communes du nord de Bruxelles, est particulièrement touchée par le Covid-19. Des tendances commencent, ainsi, à se dessiner. En effet, l’évolution de l’épidémie suggère que des réalités économiques et géographiques sont à prendre en compte pour lutter efficacement contre le virus. Plusieurs experts, comme l’épidémiologiste sociale Judith Racapé et le professeur de sociologie Andrea Rea (ULB) dans Le Soir, ont expliqué que le Covid-19 avait tendance à davantage se propager parmi les populations les plus fragiles. Une analyse que les chiffres des communes bruxelloises semblent confirmer.

Selon le rapport de l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale sur les inégalités sociales de santé datant de 2019, « Bruxelles connaît d’importantes différences géographiques, avec une zone précarisée clairement définie, appelée le ‘croissant pauvre’, au nord et à l’ouest du centre-ville. […] Cette zone concentre depuis plusieurs décennies les groupes les plus défavorisés sur le plan économique. »

À ce jour, il n’existe pas d’étude spécifique sur l’impact du Covid-19 dans les différentes communes de Bruxelles. Néanmoins, les données de l’institut publique Sciensano sur les cas cumulés de contamination depuis le début de la pandémie confirment cette division géographique. Si les communes au sud de Bruxelles ne sont pas épargnées par le virus, les communes du nord enregistrent un nombre supérieur de contaminations. Molenbeek arrive en première place, suivie par Berchem-Sainte-Agathe, Koekelberg et Anderlecht. Comment expliquer cette disparité nord-sud ?

Pour Olivier Gillis, directeur de l’Observatoire de la Santé et du Social, ces inégalités étaient prévisibles. « Globalement, les personnes en situation de précarité ont une moins bonne santé que les personnes plus favorisées socio-économiquement. Par exemple, les personnes qui souffrent de diabète, de surpoids, d’hypertension sont plus fragiles par rapport au Covid », explique-t-il. « Les inégalités sociales et de santé sont liées à de moins bonnes conditions de vie, notamment des conditions de logement et de travail qui ont un impact sur la santé. » Ce dernier mentionne, notamment, le fait que les personnes en situation de précarité ont tendance à occuper des emplois qui les exposent davantage au virus. « Quand je pense à tous les métiers de première ligne. Je prends l’exemple des conducteurs de bus ou de tram, ils sont sans doute plus exposés que les personnes qui travaillent dans des bureaux. »

Revenus bas, synonymes de plus de contaminations ? 

Les chiffres confirmeraient cette relation entre revenus moyens annuels bas et taux de contamination.

Dans les communes où le revenu moyen par habitant est inférieur à 15.000 euros par an, le nombre de contaminations enregistré depuis mars semble plus important. C’est notamment le cas de la commune de Molenbeek. Le revenu moyen annuel de ses habitants est de 10.643 euros et le nombre de cas confirmés de Covid-19 est de 67,3 cas sur 1.000 habitants. Du côté des communes aux revenus les plus élevés c’est l’inverse. À Woluwe-Saint-Pierre, par exemple, commune où le revenu moyen annuel par habitant est le plus élevé (21.253 euros par habitant), le nombre de cas confirmés est de 41,74 pour 1.000 habitants. Le Covid aurait donc frappé plus fort les communes les plus précarisées. De plus, ceux qui vivent dans des situations très précaires seraient d’autant plus impactés économiquement par la crise du Covid.

« L’endettement continue de se creuser », rappelle Samuel Haquin, coordinateur de l’ASBL La Porte Verte. « Un nouveau public tombe dans la précarité. D’autres étaient déjà dans une situation précaire et cette situation s’accentue. » Le travailleur social explique que les fermetures dans l’Horeca ont déclenché une vague de pertes d’emploi, notamment chez les personnes sans-papiers. Au sein de la Porte Verte, le phénomène se matérialise par une augmentation importante des demandes d’accompagnements et d’aides alimentaires. 

La taille des foyers : un facteur de risque supplémentaire

« On a un risque plus élevé d’être touché par le Covid quand on vit dans des zones à plus forte densité de population », explique Olivier Gillis. « Globalement les quartiers moins favorisés ont une densité de population plus élevée », affirme le directeur de l’Observatoire de la Santé et du Social. Une forte promiscuité au sein d’une commune aurait, en effet, tendance à faire augmenter le nombre moyen de contaminations.

Une étude menée par l’université Paris-Nanterre, relayée par le quotidien Le Monde le 3 novembre 2020, tire des conclusions similaires. La densité de population dans certaines communes de Paris serait l’un des facteurs qui expliquerait un taux de contamination plus important.

Pour Samuel Haquin, « la densité de population, c’est une réalité socio-démographique à Molenbeek. De ce point de vue-là, le fait qu’elle fasse partie des communes dans lesquelles il y aurait beaucoup de cas pouvait être prévisible. Mais ça aurait pu être tout aussi Anderlecht ou Saint-Josse. » Les chiffres de densité (nombre d’habitants au kilomètre carré) ne montrent pas une tendance claire à ce stade. Alors que certaines communes, comme Saint-Josse ou Molenbeek, sont à la fois fortement peuplées et fortement touchées, dans d’autres, la densité seule ne peut suffire à expliquer un taux de contamination plus élevé.

La taille des ménages pourrait également jouer un rôle dans le nombre de cas confirmés de Covid-19. Comme le souligne Olivier Gillis, certains logements abritent plusieurs générations d’une même famille. Dans ces foyers, les personnes âgées, plus vulnérables au virus, pourraient se retrouver plus exposées à un risque de contamination. 

Dans le cas de la Région bruxelloise, Molenbeek est l’une des communes enregistrant le plus grand nombre de cas de contaminations. La taille moyenne d’un ménage y est la plus élevée de l’arrondissement. 

Si la promiscuité et la précarité économique peuvent être des facteurs favorisant la contamination, l’épidémie de Covid-19 deviendrait également un vecteur de précarisation. Une commune comme Molenbeek souffrirait davantage des conséquences socio-économiques liées au virus.

Il semblerait, donc, que les communes bruxelloises ne soient pas toutes égales face à cette crise.

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