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Enfants et Covid-19 : une prise de conscience tardive

Décrits comme asymptomatiques lors de la première vague, les jeunes sont aujourd'hui définis comme "super-contaminateurs" par une étude américaine. © Pixabay

Le SPF Santé sonne l’alarme. Les cas positifs ont augmenté de 46% chez les moins de 10 ans. Négligés en début de crise, ils sont désormais au cœur des études.

Article rédigé le 9 décembre dernier.

Le 24 juillet dernier, une fillette de 3 ans perdait la vie à cause du Covid-19. C’était la plus jeune victime du pays. Ce décès a provoqué tristesse et surtout prise de conscience, comme le soulignait Boudewijn Catry, porte-parole de la lutte anti-covid, cité par La RTBF. Un réveil tardif au sein du gouvernement.

À la fin du mois de mars déjà, une jeune fille de 12 ans avait également perdu la vie en Belgique. Mais à l’époque, on parlait d’un « événement très rare ». Emmanuel André, alors porte-parole de la lutte anti-covid, soulignait au micro de La RTBF que les enfants étaient « une population à très faible risque de complication sévère ». Un peu plus tôt, le SPF Santé publique et ses chiffres montraient que la tranche d’âge la plus touchée concernait les 45-49 ans. Seuls 11 cas avaient été détectés chez les enfants de moins de 4 ans.

D’après les données, les plus jeunes échappaient à la tendance grave de la maladie. Les études, qui mettaient en avant leur faible risque de développer une forme sévère du Covid, laissaient penser qu’ils en étaient presque immunisés. Le gouvernement en a pris note dans ses mesures. Le pays entier était alors placé en confinement dès le 18 mars, mais les enfants de moins de 3 ans n’étaient pas testés, même s’ils avaient des symptômes.

Côté psychologique, aussi, « les jeunes ont été oubliés au départ de cette crise et l’effort qui leur était demandé n’a pas été mesuré. Ça n’a même pas été une priorité pour les politiques qui n’ont pas anticipé la détresse psychologique qui touche les jeunes actuellement », affirme Fabienne Glowacz, professeure en psychologie clinique à l’ULiège, spécialiste des adolescents et jeunes adultes.

Source : Sciensano

Un déclic mitigé à l’aube de la deuxième vague

Un tournant s’opère au mois de juillet. Une étude américaine, publiée dans la revue médicale JAMA Pediatrics, indique que si les très jeunes enfants contractent toujours une forme moins sévère de la maladie, ils en sont de grands vecteurs. Les chercheurs ont effectué des tests de dépistage par voie nasale entre le 23 mars et le 27 avril sur 145 patients d’âges différents. Les analyses montrent que les moins de 5 ans présentent 10 à 100 fois plus de traces de la maladie. La preuve pour certains experts qu’ils présentent une plus grande contagiosité. Les enfants âgés de plus de 5 ans, eux, se trouvent relativement proches des adultes.

Pendant ce temps, en Belgique, le confinement a fait son effet et le nombre de cas est reparti à la baisse. Une étude de Sciensano, publiée au mois d’août, vient renforcer la décision d’une rentrée dans de bonnes conditions. D’après l’Institut scientifique de santé publique, les infections sont moins fréquentes à l’école qu’à la maison. Le gouvernement en prend note, laissant de côté l’étude américaine. Le retour à l’école est acté.

Cette rentrée scolaire est une des conséquences de la seconde vague. L’explosion des cas se confirme. Fin octobre, « il manquait 10 voire 12 élèves dans chaque classe. Et sur des classes de 25 élèves, c’est énorme! », souligne Laurence Michel, professeure de 3ème secondaire au collège Saint-Vincent de Soignies.

De nouvelles mesures sont prises dans le pays dès le 19 octobre, avec l’instauration d’un couvre-feu sur tout le territoire. Au niveau scolaire, les cours du cycle supérieur sont déjà presque tous assurés à distance. Mais ce n’est pas encore le cas pour les autres niveaux d’études. Entre le 21 septembre et le 4 octobre, 760 écoles francophones sont concernées par une contamination, d’après l’Office national de l’enfance (ONE). « Il y avait tellement de cas positifs qu’on a dû fermer l’école une semaine avant les vacances. Sur 900 élèves, plus de 400 étaient en quarantaine à ce moment-là », indique Patrick Carlier, directeur du collège Sainte-Croix et Notre-Dame de Hannut.

Le gouvernement veut freiner l’hémorragie et propose un passage en distanciel aux écoles secondaires à quelques jours des vacances. Les établissements ferment pendant 15 jours à la Toussaint. Le 16 novembre, la rentrée se fait en code rouge. On reste à distance.

Les écoles, des clusters ?

Les études publiées sont contradictoires et les avis divergent. Les enfants sont-ils autant contagieux qu’on le laisse croire ? Les écoles sont-elles des clusters importants ? L’ONE affirme que seuls 16% des cas qu’elle avait dénombrés entre fin septembre et début octobre étaient liés à une transmission au sein des établissements. Mais entre confinement, déconfinement, cours en distanciel et en présentiel, les études menées sur la période ne permettent pas d’avoir des données significatives.

Pour le virologue Yves Van Laethem, l’impact des enfants sur l’épidémie a peut-être même été sous-estimé par les experts et le gouvernement, au regard des derniers chiffres fournis par Sciensano. « Il y a une augmentation des contaminations auprès des enfants, mais elle est plus modérée chez les adolescents à partir de 10 ans. Elles ont augmenté de 46%, chez les enfants de moins de 10 ans et de 10% chez les 10-19 ans (NDLR : voir notre graphique ci-dessous). C’est une conséquence de la réouverture des écoles il y a trois semaines. On ne sait pas encore où l’infection s’est produite pour ces enfants. On avait estimé que la contamination venait de la maison vers l’école. On doit désormais établir si ceci est toujours exact », a souligné le virologue ce 7 décembre, cité par La Libre.

« Notre tracing ne nous a jamais permis de savoir si un élève a été positif parce qu’un autre l’était au sein de notre établissement ou s’il a été contaminé à l’extérieur. On n’a jamais pu mettre le doigt là-dessus », ajoute le directeur de l’école hannutoise Patrick Carlier.

Pour tenter d’y voir plus clair, Sciensano a récemment lancé une étude en collaboration avec l’ONE, rapporte RTL. L’UClouvain, l’ULiège et l’ULB réaliseront des tests salivaires toutes les semaines au sein d’écoles primaires et secondaires sélectionnées aléatoirement. En tout, 82 classes seront testées jusqu’au mois de juin.

En attendant les premiers résultats, le porte-parole interfédéral Yves Van Laethem lance d’ores et déjà un appel à la prudence pour la période des fêtes : « Évitez tout contact entre enfants et grands-parents et entre enfants de différentes tranches d’âge. »

Le testing devrait, lui aussi, être plus important dans les écoles, dès le retour des vacances.

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